ENTREVUE AVEC SHEILA URBANOSKI


Sylvie Parent: Vous êtes connue pour vos vidéos aussi bien que pour vos oeuvres Web. Qu'est-ce qui vous a amenée à vous intéresser au Web et est-ce que vous voyez une continuité entre les deux médias?

Sheila Urbanoski: Je suis persuadée qu'il y a une affinité naturelle entre le Web et la vidéo (encore qu'il soit plutôt curieux de parler de quoi que ce soit de naturel en référant à de tels niveaux d'explorations technologiques). Certains éléments de cette affinité sont évidents - l'utilisation de l'interface en tant que matériau de transmission pour l'oeuvre d'un artiste; les médias numériques; ses aspects "artisanaux", et ainsi de suite.

Au niveau de la pratique, il est probablement plus facile pour les artistes oeuvrant dans le champ des média de faire le saut synaptique dans les média issus du Web parce que, eh bien, nous utilisons déjà les machines, les ordinateurs, la technologie de manière abondante dans nos oeuvres. Nous avons l'habitude de voir l'écran en verre aplatir notre vision et le récit être présenté après un processus technique long et laborieux. Existe-t-il tant de différence entre un récit scénarisé et la cartographie d'un site?

Cela peut se révéler cependant un désavantage - la facilité de passage entre web/vidéo: je me retrouve souvent engagée dans des discussions à propos du "vidéo web", etc. Pfft. J'insiste vraiment beaucoup sur le fait que le seul type de vidéo qui devrait être sur le Web est un vidéo *fait* pour le Web. Vuk Cosic, un de mes maris, fait de la vidéo en ASCII - utilisant ainsi son propre médium, l'art Web, pour faire de la vidéo - en tant que réponse directe à la tendance vraiment agaçante des artistes vidéastes de décider subitement de créer un site Web, sans aucune formation technique, théorique ou esthétique quelle qu'elle soit...

Ils numérisent simplement leur oeuvre vidéo existante et nous infligent des temps de téléchargement énormes!

Ainsi même si je pense qu'il existe efectivement une relation pratique, basée sur la technologie, entre les deux médias, cela ne conduit pas automatiquement à un mouvement esthétique ou critique entre la vidéo et le Web.

J'ai souvent dit auparavant, et je le répéterai encore dans le futur, que je pense que le Web est bien davantage parfaitement approprié aux écrivains - c'est un médium fondé sur le langage, vraiment...

La technologie peut bien être à la fine pointe, le contenu demeure primaire, les mots sont encore ce qui importe le plus...

S.P.: Qu'est-ce qui vous a conduite à vous intéresser au Web?

S.U.: Distribuable. Extensible. Accessible. Terra Incognita...

Le caractère extensible de ce médium, le fait que l'on peut ajouter et soustraire et éditer et ajouter sans fin, c'est ça qui est fascinant et exaspérant. Il n'y a pas d`"original", ni d'objet tangible du tout, c'est un type de médium vraiment magique, illusoire, jamais fini et toujours changeant. Si vous le voulez tel. Le seul site Web que j'ai jamais considéré comme "fini" est POSITIVE et cela, en grande partie à cause de la mort de mon collaborateur Ian Stephens.

Distribuable. Voici une oeuvre d'art qui peut être envoyée aussi rapidement à Hoboken qu'à Helsinki ou à Hanoi.

Accessible - et cette tendance ne fait que s'accroître d'heure en heure. Imaginez votre pratique artistique disponible à n'importe lequel moment pour n'importe qui ayant accès à un microprocesseur...

Terra Incognita, en ce qu'il n'y a ni paramètres, ni histoire, ni règles... Je travaille souvent en dehors du milieu de l'art et j'aime le territoire complètement vierge au point de vue critique de ce médium (même si cela est rapidement en train de changer, bien entendu. Cependant l'Internet constitue un lieu où toute théorie/critique à son sujet peut se trouver rapidement contestée!) Ainsi même s'il existe actuellement des tentatives pour définir/critiquer les multiples aspects de l'Internet, j'ai toujours le sentiment que le génie est déjà hors de la bouteille... Il évolue fort bien, parfois il part en peur, mais il reste là beaucoup de territoire inexploré. Il est aujourd'hui tellement de mise dans les cercles "intello-numériques" dont je fais partie de critiquer l'Internet de manière virulente: c'est lent, c'est de la merde, c'est ennuyeux. Oui, oui, oui, mais c'est encore radical et cela n'a pas encore été entièrement exploité...

Oh, et c'est super.

S.P.: Vos projets Internet remontent à aussi loin que 1991, je crois. Quels ont été vos premiers projets?

S.U.: À la fin des années 80 - début des années 90 avec mon fiable Amiga 500 et mon modem 2400baud super rapide, les possibilités technologiques étaient, on le sait, limitées comparées à aujourd'hui. À l'époque, cependant... wow. C'était simplement fou - cette nouvelle méthode de communication et d'interaction (et tu sais, toute attitude blasée de celui ou celle ayant déjà-tout-vu mise à part, c'est encore pas mal fou, pas mal "wow", cette chose appelée Internet).

Ce dont je me souviens le plus cependant c'est qu'il y avait littéralement *moins de gens impliqués* . Cela, à une époque où les gens en ligne dans votre région étaient, quoi, dans les douzaines, alors que maintenant nous parlons de la participation potentielle de dizaines de millions... encore une fois, le seul fait d'être en ligne vous identifiait d'une manière particulière, plutôt radicale.

Plusieurs de mes "interventions" en ligne à cette époque - comme de joindre des discussions et jouer le personnage d'une femme insupportable jetant le trouble dans l'habituelle discussion stupide et douteuse (ooh, tout un exploit, ça); faire marcher les bigots; fausses rumeurs et guerres enflammées; et de façon générale, explorer les effets générés par la possibilité qui m'était offerte d'incarner n'importe laquelle personne ou de me présenter moi-même (ou mes multiples moi-mêmes) de n'importe laquelle manière.

Pour être honnête, ai-je jamais considéré une ou plusieurs de ces réalisations comme des projets "artistiques", c'était l'état des choses en ligne, vous savez ce que je veux dire? Des performances, définitivement... les jeux de rôles, le jeu sur l'identité sexuelle, l'adoption d'une identité et autres actes de déguisement numérique étaient plutôt courants en ce temps-là et continuent de l'être. Il y a eu les rares moments où nous avons eu des discussions-performances ou des sortes de sessions de poésie numérique improvisée mais elles sont demeurées très chaotiques + non-structurées = sensationnelles. Et autant que je peux l'affirmer elles ont rarement impliqué d'autres artistes s'avouant comme tels. Mais hé, qui le savait?.

Je me sentais décidément attirée par l'aspect de déguisement numérique et aussi par l'adoption et l'abandon d'identités virtuelles - en tant que tels ce sont là des intérêts récurrents dans ma pratique artistique... Mais je dirais qu'être en ligne à la fin des années 80 s'est révélé pour moi très important en ce je me suis trouvée connectée, littéralement et figurativement, et que j'ai senti jaillir l'inspiration numérique. La création d'oeuvres d'art importantes ou ayant une résonnance mondiale n'était ni pertinente ni même l'intérêt pour moi.

J'aime aussi beaucoup la nature inclusive de la communauté Internet. Et oui je dis bien INclusive. J'ai entendu d'innombrables arguments selon lesquels le net est un lieu exclusif; c'est blanc, masculin, éduqué, américain, etc. - vous avez besoin de la technologie et de l'accès [au monde du numérique] et de l'expérience pour vous brancher en ligne. Pfft, que je dis. Si on le répète assez souvent, tout le monde va finir par le croire. La communication non régularisée est inclusive. L'accès illimité à l'information illimitée est inclusif. Dans les cybercafés, les bibliothèques, les écoles, partout on trouve des démos, des kiosques, des ordinateurs, des ordinateurs, des ordinateurs. Ainsi donc l'accès au système "hardware" est là, simplement, c'est le "wetware", c'est-à-dire l'élément humain, qui constitue la barrière.

Ceci m'amène à la manière dont je me suis en premier embarquée dans ce truc. Comme pour tout ce qu'il y a de super dans ma vie, un bon ami m'a montré la voie et je m'y suis immédiatement lancée en courant. Pour cette raison, je me suis engagée à montrer à d'autres comment faire ce que je fais - je veux permettre à plus de gens possible, en particulier aux artistes, de s'élancer sur la même voie à leur tour!

Mon premier projet strictement conçu pour le Web a été créé à l'hiver 1992 pour la Mendel Art Gallery dans ce bon vieux Saskatoon, Saskatchewan. Bruce Grenville en était alors le conservateur et m'a engagée pour concevoir un prototype (pour être vu sur Mosaic!) pour eux. C'était super! Avoir trois mois seulement pour s'asseoir et apprendre le HTML était justement ce dont j'avais besoin. Très Renaissance - comme d'avoir un mécène!

S.P.: Quelques-uns de vos projets traitent de la pornographie sur le Web. La plupart des femmes se sentent inconfortables par rapport à la pornographie. C'est un univers appartenant aux hommes, qui s'adressent à eux et qui est contrôlé par eux. Mais vous vous êtes intéressée au sujet, et vous vous êtes impliquée à votre manière. Sur votre site Web www.shera.org, vous donnez des "recettes" pour créer son propre site Web porno et suggèrez des "idées" au sujet de l'utilisation qui peut être faite de tels sites. Voulez-vous nous raconter vos aventures comme pornographe?

S.U.: Je me décris moi-même comme pornographe, c'est vrai. Je visite beaucoup de sites porno, mais après tout, c'est un fait que je trouve Playboy moins offensant que Cosmopolitan. Il faut que je dise tout de suite que je suis une très grande fan de l'industrie de la pornographie sur Internet. C'est la force véritable derrière l'expansion du marché pour l'utilisation de l'Internet dans les foyers (tout comme les magnétoscopes pour la maison - chacun sait bien entendu que la seule raison pour laquelle vous avez VHS au lieu de Beta est que l'industrie de la pornographie a endossé l'un et non pas l'autre: la même chose pour le DVD). L'industrie de la porno est la seule à faire de l'argent, et beaucoup, sur le net. Haut la main (ou ailleurs la main ha ha ha). Et parce qu'elle fait le plus d'argent elle peut également employer les meilleurs personnes. Quand je donne des ateliers je suggère toujours aux gens d'étudier les codes à la source des sites porno (et j'essaie de me souvenir de leur montrer comment visiter ces sites sans les images) s'il existe des sites sur le Web qui utilisent les trucs des hackers les plus récents et les meilleurs (particulièrement en ce qui a trait au positionnement pour les engins de recherche), ce sont bien les sites porno.

Par exemple, j'ai passé un certain temps à jouer avec le positionnement pour les engins de recherche, à l'aide des codes meta, alt et d'autres trucs d'encodage afin d'usurper la position de certaines compagnies ou d'individus - en d'autres termes, afin de réorienter les gens vers mon site au lieu du @vrai@ site Web qu'ils cherchaient.

En 1997, j'ai été très contente de voir mon adresse URL placée dans les premières sept à dix positions par quatre engins de recherche majeurs lors d'une recherche pour une organisation anti0choix canadienne importante. De cette manière, j'ai réussi à introduire les gens intéresés au Right of Life (droit à la vie) à la vraie vie (Right Life). Dans une autre version, j'ai encodé mon travail pour le dérober aux engins de recherche: un exercice intéressant bien que scolaire - comment une artiste Web se cache-t-elle sur le Web?

Cet intérêt à manipuler les engins de recherche s'est révélé fort fructueux, et sérieusement, tout ce que j'ai appris je l'ai appris en naviguant sur les sites porno sur le Web.

J'ai conçu plusieurs projets ayant la pornographie comme sujet, quelques-uns seule, d'autres avec la participation des programmeurs partageant les mêmes intérêts, des enfants terribles et des artistes. Certains de ces projets se sont perdus dans les dérives de données flottant dans le cyberespace...

Un des favoris demeure la mise sur pied d'un faux site porno doté d'une section d'introduction avec des images très standard, suivie d'un formulaire d'information pour cartes de crédit qu'il fallait remplir pour devenir membre. Nous envoyions ensuite un mot de passe permettant à l'usager d'accéder au "vrai" site porno, qui correspondait à ma version de ce qu'un bon site porno devrait être. Comment donner à votre partenaire un massage érotique. Les écrits d'Anaïs Nin, un texte de Greer, des exemples d'images archéologiques sexy (la fameuse Sheela-na-gig) et ainsi de suite... Peut-être tout cela semble-t-il assez peu osé, mais c'était en fait plutôt mignon et sexy...

L'intention de ce projet au niveau esthétique était d'être sexy - il y avait alors une véritable disette de sites abordant la sexualité de manière simplement sensuelle, c'est beaucoup mieux aujourd'hui...

Mais l'idée de jouer avec les attentes attachées aux sites porno continue à m'intéresser, un intérêt qui a éventuellement donné lieu à des expérimentations de plus en plus nombreuses en recherche de données et dans la création et la distribution d'identités numériques.

Le site Web décrit plus haut n'était que l'une de ce qu'on a appellé mes "interventions" dans le champ de la pornographie. Il y a eu un bon nombre de variations sur le thème (il faut se rappeler que cela s'est déroulé, sans trop de bruit, sur une période de trois à quatre ans) - cela m'a fourni beaucoup de temps pour expérimenter et collaborer et pour imaginer des tactiques et des projets nouveaux, comme de nouvelles stratégies et oui, des projets artistiques...

Par exemple, après la réception de courriels particulièrement courroucés de la part de clients insatisfaits (mais alors là, vraiment!) - et aucune carte de crédit n'ayant été débitée pour l'obtention du mot de passe ou le statut de membre (évitant ainsi soigneusement toute action judiciaire, voilà un bon truc que je donne gratuitement à tous!) - nous avons distribué par courriel toutes les informations obtenues sur leurs cartes de crédit à tous les membres du site. Une manière d'attirer l'attention sur la confiance mal placée que nous continuons d'avoir dans un médium aussi distribuable et non régularisé (particulièrement à cette époque, en 1996).

S.P.: Quelles ont été les réactions face à ces actions?

S.U.: Hé bien, une bonne chose dans le fait d'avoir un serveur sympathique est que vous pouvez fermer les comptes des boîtes aux lettres rapidement! Seigneur, les gens deviennent tellement susceptibles quand vous distribuez ce qu'ils croient naïvement être des informations personnelles les concernant.

La réaction la plus virulente est venue de gens confrontés non à l'information au sujet de leurs cartes de crédit, mais à leur identité numérique. Cela s'est produit quand nous avons utilisé la stratégie décrite plus haut de manière différente en utilisant les données recueillies un peu différemment. Comme chaque membre s'était vu demander de remplir un questionnaire portant sur leurs goûts et dégoûts, leurs prédilections sexuelles et ainsi de suite, nous avons pensé qu'un service utile serait de présenter les uns aux autres les gens partageant les mêmes intérêts. C'était un script de base de données très simple mais cela a vraiment dérangé certaines personnes d'en "rencontrer" d'autres avec les mêmes intérêts...

Parce qu'on doit garder en mémoire que l'anonymat promise par le médium, l'absence d'exposition est ce qui attire autant d'usagers sur les sites porno et fétichiste en premier lieu! Éliminer cette apparence de protection assumée de la vie privé (parce que - surprise - rien n'est jamais vraiment privé, particulièrement sur le WWWeb), retirer ce rideau, a vraiment dérangé les pauvres mecs assez malchanceux pour tomber sur mon site.

C'est ce qui s'est produit... jusqu'à ce que la situation ne devienne un peu trop chaude et là, j'ai rapidement vendu les derniers des domaines que j'avais achetés et j'ai fiché le camp.

Quant à décrire ces réactions comme non positives, eh bien, c'est le moins qu'on puisse dire. C'est dans un tel moment que le fait de posséder sa propre identité virtuelle devient très utile. Le nom et la personne que j'ai choisi d'incarner, The Pornographer, n'existant pas, les insultes (et les menaces de poursuites) qui lui ont été adressées ont été plus faciles à ignorer.

En général cependant la réponse a été plutôt positive! Même plusieurs des types qui ont vu l'information sur leurs cartes de crédit distribuée par courriel souvent n'ont fait qu'en rire et ont accepté cela comme une petite taquinerie à leur endroit (ce que c'était d'ailleurs pour l'essentiel). J'ai été particulièrement charmée par les gens qui ont apprécié les aspects érotiques du "faux" site porno, et qui ont trouvé que c'était bien. Et on m'a envoyé des anecdotes racontant, par exemple, comment l'adresse URL était échangée entre collègues de travail comme une bonne "blague"; n'est-ce pas charmant?

Ce qu'il y a de plus intéressant en ce moment sont les réactions que je reçois de la part des gens quand je reparle du projet aujourd'hui, surtout au sein de la communauté artistique au sens large (la fait est que j'ai pris un bon bout de temps avant de m'"exposer" moi-même, comme auteure de mon travail). Le discours autour de la pornographie a été exploité au maximum, n'est-ce pas? Et tout cela est arrivé il y a, hé bien, tellement longtemps, vraiment.

Il faut se rappeler que je fais ici référence à des actioné/projets qui N'EXISTENT PLUS ou alors seulement sous forme d'archives qui n'étaient que peu importants ou encore qui n'ont été que ponctuel(le)s. Wicked Mystress a été vendu, quoi, il y a quatre ans maintenant (!) Aussi dernièrement je me suis intéressée aux réactions que mon travail suscite chez des gens qui n'ont pas vu les oeuvres du tout, qui en ont seulement entendu parler ou ont assisté à une de mes conférences. Je trouve intéressant la manière dont leurs propres imaginations embellissent mon travail littéralement virtuel (non-existant) pour l'amener dans des directions où les oeuvres ne sont jamais effectivement allées! J'ai été accusée à plusieurs reprises d'exploiter le corps féminin, alors que la seule image sexuelle était celle d'une sculpture Sheela-na-gig vieille de mille ans. Ou d'abandonner le féminisme en entachant mes positions politiques d'une connotation anti-sexuelle - alors que la sexualité était justement ce qui primait, pas l'obscénité. Ou d'être "anti-hommes" parce que je critique un exutoire "sain" pour la frustration sexuelle... Ou d'être une mauvaise "programmeure" parce que les pages avaient l'air moche (hé bien, il y a cinq ans, elles ne l'étaient pas, nyah, nyah, nyah)

S.P.: Dans votre conférence prononcée au colloque Cartographies, organisé par ISEA à Montréal en octobre dernier, vous avez aussi mentionné d'autres projets plus anciens.

S.U.: This is Your Sister.
Version 1.0 Automne 1994 J'ai acheté plusieurs noms de domaine potentiellement intéressants, et j'ai commencé à jouer avec l'idée de comment faire de l'argent avec la porno, hi hi hi. Quoique j'aurais vraiment souhaité avoir plutôt acheté, par exemple, cocacola.com ou quelque chose du genre, merde.

Version 1.1 printemps 1995
Bon, quand j'ai affirmé n'avoir jamais utilisé de photos de Femmes Nues sur mes sites Web j'ai menti, un petit peu. Dans une version de mon premier site porno - celle où les gens (les hommes) ont payé pour un mot de passe donnant accès à un faux site porno - ces derniers se voyaient présenter des photos très explicites de femmes à poil avec THIS IS YOUR SISTER (C'EST TA SOEUR) étampé à travers leur corps en imitation des étampes apposées par la censure. J'avais douze pages différentes avec douze versions différentes du même texte sur différentes femmes.

Version 2.4 automne 1995
D'une manière typique au Web, le projet s'est transformé - j'ai comencé à ajouter des messages, des textes différents, je me souviens avoir utilisé comme guide les "informations" accompagnant la photo centrale de Playboy.

"Bonjour, mon nom est Sindy, et j'adore le surf sur neige et les promenades au crépuscule sur la plage. Je suis un Lion et une mère célibataire de 32 ans essayant désespérément d'empêcher les services sociaux de me prendre mon enfant en prétendant être une nymphomane de 22 ans avec d'énormes seins 42 DD en plastique qui me tuent lentement mais oui oui viens je te veux, encore, oh oui chéri"...

Les images de femmes à poil étaient toutes tirées de différents sites porno commerciaux, j'ai particulièrement apprécié en trouver certaines avec un filigrane - afin de supposément protéger leurs droits d'auteur... on doit comprendre que ce n'était pas les femmes qui possédaient ces droits, mais les auteurs du site Web, évidemment...

Version 3.5 fin de l'automne 1995, début 1996
Avec un ingénieur ou un programmeur ou plusieurs douzaines d'artistes/activistes nous avons ou non pu réussir à accéder au répertoire d'images du serveur FTP d'un important distributeur de porno. Dans le bref moment entre notre incursion dans leur banque de données et la découverte de cette intrusion par leur système de sécurité nous avons pu ou non télécharger des douzaines de versions des images This Is Your Sister. Ces images peuvent ou non encore circuler dans les parages du site porno, fictif ou non, mentionné ci-haut.

Version 4.2. Tout au long de 1996
C'est à ce moment que je suis devenue fanatique à propos des tenants et des aboutissants du code. Restant vigilante en permutant sans cesse les sites porno, incorporant des suggestions de cyberfemme et en obtenant des conseils légaux.

Version Fin, début 1997
J'ai vendu le dernier des noms de domaine "coquins" Mystress qui est maintenant un site porno normal. Encore que je me demande souvent si certains usagers hésitent quand ils voient cette adresse URL... hi hi hi.

P.S. Au cas où cela ne serait pas évident, je n'aime pas trop parler de ces trucs, eh bien, un peu illégaux, je n'ai pas du tout besoin d'être arrêtée, ou déportée! de plus certaines autres personnes/identités en ont revendiqué le crédit, ce qui est bien car elles peuvent autant être moi que Linda ou Suszie!

S.P.: Et à propos de Cyberfemme?

S.U.: J'ai oublié Cyberfemme! Je l'ai probablement mentionné à un moment donné dans le passé.

Cyberfemme a vu le jour à la suite d'une discussion au sujet du film Blade Runner. Le personnage incarné par Daryl Hannah y est décrit comme une des premières Cyberbabes et cette remarque m'avait beaucoup agacée - a. parce qu'elle n'était pas cyber, elle était androide et b. parce qu'elle était un joujou sexuel - ce dont nous avons besoin actuellement ce sont des cyberdéesses, des cyberféministes, des cybersoeurs... une "femme" également en ligne à l'époque s'était alors moqué de ma déclaration en disant que ce dont nous avions vraiment besoin, c'étaient de cyberfemmes, car il y avait déjà suffisamment de cyberbutch. Alors nous avons créé un autre groupe appelé Cyberfemme où nous mettions de l'avant des idées et des concepts (une chose particulièrement intéressante pour une artiste comme moi, n'est-ce pas?) Qui sait si une seule de ces idées en est venue à être acceptée? C'était simplement amusant de jongler avec elles. C'est au moyen de Cyberfemme que j'ai pu mettre de l'avant certaines de mes premières idées et que j'ai eu également quelques super bonnes idées...

C'était avant le WWWeb, en 1990, donc la discussion et les idées demeuraient centrées sur des actions pré-web ou des manifestations physiques (on va toutes faire une demande pour une carte Visa avec des données identiques! On va toutes renvoyer nos tampons Tampax usagés par la poste et exiger un remboursement! (des lettres écrites en groupe à Playboy ou Esquire et d'autres stupidités gonflées du genre). Cela s'est éventuellement terminé (du moins, je le pense!) mais je garde le contact avec neuf des plus intéressantes personnes du groupe et nous avons encore des échanges de temps en temps... nous avons connu un bref regain d'activité en 1995-1996 quand Cyberfemme est né à nouveau de ses cendres et le groupe a constitué encore une fois une ressource fantastique pour moi en tant que lieu d'expérimentation et de vérification pour quelques-unes de mes idées, mais les personnes membres du groupe à ce moment (même si supposément c'était toutes des femmes, qui sait si c'était vraiment le cas) possédaient un sérieux bagage technique, beaucoup plus cyber que femme, ce qui était fort intéressant...

Je peux affirmer, sans me troumper, que c'est grâce à ce groupe que j'ai développé une véritable appréciation des blocs de construction du Web en tant que tels, en d'autres mots du code lui-même. Il y a une élégance et une beauté dans l'écriture d'un code, et par conséquent dans le contrôle du médium, c'est-à-dire un intérêt esthétique qui lui est propre. Et encore une fois, ce n'est pas tout le monde qui le voit... mais en fin de compte, tout le monde peut en voir le résultat tangible.

J'ai toujours dit que je ne me sers pas de mon vagin pour manipuler ma souris, et que l'ordinateur s'en fiche si je suis un garçon/une fille/les deux ou un légume: que sexualiser la technologie revient à maintenir le status quo - les mecs ne veulent pas perdre leurs jobs ou abandonner même une partie de leur territoire de mâles, hee hee hee. Trop tard!! Ils auraient dû nous arrêter avant en ne créant pas SGML ou HTML ou d'autres langages de programmation du même genre, c'est-à-dire faciles d'utilisation pour le client, qui ont rendu la transition de l'usager au créateur tellement plus facile. Oh, quel torrent ils ont ouvert...

Les remarques qui précédent constituaient un vrai "moment Cyberfemme", pour votre plaisir.

S.P.: Un autre aspect important de votre travail est la collaboration. Vous avez fait partie de nombreux centres d'art au Canada, supervisé d'autres artistes, contribué à la réalisation de plusieurs projets. Et un bon nombre de vos projets Web sont également conçu avec l'aide d'autres artistes.

S.U.: Tout artiste du Web qui prétend travailler seul est un menteur!! Je fais tout mon encodage moi-même et mes graphiques et ainsi de suite - cependant c'est le va-et-vient constant et le dialogue au sein de la communauté du net qui nourrit mon travail! Il n'est pas humainement possible pour un humain de se tenir toujours à la fine pointe des changements et des développements infinis dans le domaine des média du Web et de leur possibilités... et si vous ignorez ces possibilités comment pouvez-vous les mettre en oeuvre? Je compte sur le réseau humain au sein du réseau numérique pour me garder informée. Ce sont des pures données, c'est une collaboration purement technique, centrée sur l'échange d'idées et de concepts, en même temps que de techniques et de procédés. Cela constitue, eh bien, l'aspect de méta-collaboration du travail sur le Web.

De plus, le Web est par sa nature même un lieu de collaboration - l'oeuvre n'existe même pas sans la relation client/serveur - le système hardware travaille en commun avec le réseau et ainsi de suite.

Je pense que la collaboration des artistes entre eux a toujours été potentiellement difficile et particulièrement avec l'utilisation d'un médium dépendant à ce point de la technologie où seulement un membre de l'équipe possède les connaissances techniques! Je me suis toujours décrite comme canalisant la vision du Web d'autres artistes grâce à l'aide que je leur apporte ...

Travailler avec quelqu'un partageant la même sensibilité ou la même approche quand vous apportez néanmoins chacun des expertises différentes à l'oeuvre, c'est à ce moment-là que ça devient vraiment intéressant. Avec mon rôle comme guru du Web c'est toujours délicat - vous savez que vous ne voulez pas seulement être la technicienne de quelqu'un, ou être perçue comme tel, mis j'ai été chanceuse j'imagine et j'ai pu travailler avec les meilleurs des gens.

J'ai travaillé sur un site avec Chris Robbins (le site s'appelle White Noise, et de manière typique est toujours en progrès!), un artiste des média qui travaillait à San Francisco alors que je demeurais aussi loin de là qu'on peut l'imaginer, à Fredericton au Nouveau-Brunswick et cela n'avait aucune importance - elle aurait pu être la porte à côté. Les distances disparaissent, c'est merveilleux.

J'aime beaucoup la collaboration, particulièrement avec des écrivains: comme je l'ai dit auparavant, je pense que le Web est parfait pour les écrivains... et le médium lui-même se révèle tellement parfait pour une telle collaboration!

Certains des projets d'écriture que j'ai fait incluent Speaking the Language of Spiders. Ce site incorporait les textes et les illustrations d'artistes aborigènes dans le cadre de la consmologie du temps des Saulteaux. C'était aussi la première fois que je collaborais directement - avec Ahasiw Maskegon-Iskew - à l'écriture du code ent tant que telle.

Bill Burns (photographe, écrivain, artiste conceptuel) de qui j'ai toujours aimé le travail - et qui est un autre membre de la Saskaspora (la diaspora artistique de Saskatchewan), avec qui je suis en train de travailler à mettre en ligne son oeuvre littéraire intitulée How To Help Animals Escape From Endangered Habitats.

Ian Stephens est mort au printemps 1996 et je n'ai pas terminé le site basé sur son oeuvre poétique et narrative avant 1997 (surtout parce que j'avais besoin de vacances), en conséquent cela s'est révélé un projet personnellement difficile pour moi. Cependant la perspective de travailler avec une oeuvre aussi forte et de voir quelqu'un me faire confiance pour prendre l'oeuvre de sa vie et l'interpréter (au moyen de graphiques et de code) afin d'en faire la présentation a été pour moi un énorme cadeau. Je pense encore que ce site,POSITIVE, constitue mon oeuvre la plus forte en ce qu'elle comportait tout ce vers quoi j'aspire dans une oeuvre Web: un contenu fort, exigeant et engageant;un code à la structure complexe (du moins en apparence, dans ce cas); utilisable avec plusieurs fureteurs, un site qui est visible sur à peu près n'importe lequel système; engageant visuellement ainsi qu'émotionnellement et cérébralement.

C'était aussi un projet intéressant pour moi parce que j'ai décidé de ne pas mettre ce site ou le code utilisé à jour. Ce qui est souvent remarqué ou critiqué. Parce que c'est un vieux site, il est beaucoup moins sophistiqué techniquement que ce dont le spectateur peut avoir l'habitude... quand je l'ai commencé, les cadres commençaient seulement à être utilisés!

Comme il y a beaucoup de débat autour de la question de l'archivage des sites Web, ce site est un peu comme un moment mis en boîte. Quand nous créons des sites Web, nous avons tendance à les mettre àjour constamment, réécrivant les versions originales de manière à les faire disparaître... alors j'ai décidé de garder POSITIVE dans sa structure de code originale.

Mais je ne refuserai pas de rédiger les codes à la place de quelqu'un afin de l'aider. J'ai souvent accepté de trimer pour une bonne cause, tel le site Web Amazing Amazons d'Anna Malkin réalisé par amour et pour une bouchée de pain simplement parce que je veux la voir faire son film. C'est ma manière directe et tangible d'aider les artistes,seulement d'aider à la réalisation de leur site!.

Le projet de collaboration probablement le plus ambitieux est Vingtieme Siecle/My Twentieth Century qui est composé de cent histoires proposées par cent personnes originaires de partout dans le monde, un projet qui n'est pas près d'être terminé mais qui est intéressant encore une fois du fait que tous ces gens m'ont écrit une histoire et que je travaille pour fournir à leurs histoires le cadre de présentation le meilleur possible... J'aime le défi et aussi la connotation... Et cela, bien que j'appelle ce genre de pièces des oeuvres de Compilation plutôt que de collaboration.

Me Myself I, où le site Web était une partie intégrante d'une installation vidéo a seulement pu exister grâce aux gens à l'intérieur de l'espace de la galerie, en même temps qu'en dehors du site. Mais je peux dire cela de n'importe lequel site, en fait: nous avons besoin de l'usager! c'est là la vraie collaboration. L'acte de voir des sites Web est habituellement de nature très privée... La dynamique artiste/public est braiment unique en ce sens. C'est seulement moi et vous...

C'est un autre niveau de défi pour moi en tant que créatrice de travailler comme enseignante, et de transmettre mon enthousiasme et mon expérience. J'ai toujours fait confiance à la bonté des étrangers et sur le Web nous le faisons tous. Transmettre l'information est la chose primordiale et comme je l'ai déjà dit, il est d'une importance vitale pour moi de "prêcher la bonne parole" (ou devrais-je dire le bon code?).

J'ai donné des ateliers du Nouveau-Brunswick à la Colombie-Britannique pour des groupes de cent à trois cents et j'ai adoré cela - et si un seul site Web de valeur est créé c'est la meilleure récompense...

Oui j'ai continué à travailler au sein de la communauté des centres autogérés par des artistes, depuis toujours on peut dire. C'est un système tellement merveilleux et j'essaie de me montrer aussi encourageante que possible envers la communauté artistique parce que sans eux nous ne sommes rien! J'ai siégé aux conseils d'administration et j'ai fait partie du personnel et fait du bénévolat er donné des ateliers et levé des fonds et voyagé et donné des conférences et débité des bêtises et juré et en général persévéré et maintenant je peux voir la vidéo prise au sérieux, l'art Web être commenté dans divers articles, l'innovation audio continuer, les films expérimentaux être montés et une communauté en art médiatique forte où les artistes peuvent simplement entrer dans un centre et avoir accès à un magnifique équipement pour lequel j'aurais tué il y a dix ans et vous savez cela fait chaud au coeur, vraiment...

Traduction: Anne-Marie Boisvert

 

 



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