ENTREVUE AVEC DANIEL DION


Sylvie Parent : Dans quelles circonstances vous êtes-vous intéressé au Web, comme moyen de diffusion et de création?

Daniel Dion : J’ai tout de suite été séduit par le véhicule Web. Il correspondait conceptuellement et structurellement à la multiplicité d'approches et de médiums auxquels je me suis intéressé, entre autre l'être humain, l'espace, le temps; la vidéo, l'audio, la performance; et même à mon travail de codirecteur chez Oboro. Il est caractérisé par la fluidité, la mouvance Rien n’est permanent sur le Web, il n’y a ni début ni fin en soi. On met quelque chose en ligne, on l’enlève. On peut inclure l'image, le texte, le son. Il s’agit aussi d’un médium qui questionne à la notion de durée. Tous ces aspects m’ont toujours intéressé tant sur le plan de l’iconographie que de l’esthétique. Lorsque le Web est arrivé, il m’a semblé qu’il représentait ce que j’avais souhaité.

Au départ, quand j'ai commencé à travailler avec la vidéo dans les années 70, c'était avec cet intérêt pour la fluidité, la mouvance, l'impermanence. Aujourd'hui, la vidéo a pour ainsi dire éclaté pour s’intégrer à des contextes d’installation, de spectacle, au multimédia. Elle est utilisée à toutes les sauces et se voit intégrée dans le domaine digital. Cela fait partie d’une continuité. C'est au moment de cette détonation, quelques années avant que que le Web fasse son apparition, que j'ai réellement entrevue la possibilité tangible de transcender le médium vidéo en tant que tel.

S.P. : Le passage de la vidéo à l’intégration de fichiers vidéo sur le Web, paraît assez évident dans une démarche comme la vôtre. Ce qui me frappe dans votre pratique sur le Web, c’est l’utilisation du Quicktime VR. Il me semble qu’il y a là un intérêt particulier que l’on retrouve peu souvent chez les artistes.En effet, relativement peu d’artistes se sont appropriés cette technologie jusqu’à présent. Plusieurs sites ont recours à cette technologie à des fins commerciales, comme les sites touristiques, ceux liés à l'immobilier, qui offrent des panoramas dans le but de promouvoir un lieu et d'en faire une exploitation commerciale. Pourquoi vous êtes-vous intéressé à cette technologie en particulier, dans votre travail de création pour le Web? Quelles nouvelles possibilités d'expression et de création cette technologie permet-elle?

D.D. : Il est vrai qu’encore peu de gens emploie cette technologie, qui est assez récente, enfin de compte. Encore là, j’ai été complétement séduit. Je me suis toujours intéressé à l’environnement, aux conceps cycliques, autant dans mes bandes que dans mes installations. Le Quicktime VR me permet, à sa façon d'allier ces intérêts tout en explorant le rôle de l'individu, de la matière et des fréquences dans l'espace. De plus, contrairement à d’autres technologies VR où il faut d’abord construire des modèles à partir d'équations et de vecteurs, on peut directement composer à partir d’images de la réalité qui nous entoure pour ensuite créer quelque chose du domaine du virtuel.

S.P. : Le QTVR n’est pas une véritable technologie de réalité virtuelle. Elle pourrait être qualifiée de documentaire puisque les panoramas ou les objets qu’elle permet de présenter sont, le plus souvent, le résultat d’une construction à partir de photographies.

D.D. : Ces environnements multidimensionnels permettent de rester très proche de notre perception familière, tirée du quotidien. Évidemment, à partir de ces images/sons captés autour de nous, on peut dans un second temps altérer ce réel. Par exemple modéliser l'environnement, y incorporer d'autres éléments visuels ou sonores, y incruster des plages vidéo, ou encore créer des hyperliens. Le QTVR donne aussi la possibilité de manipuler des objets familiers, de les observer de différentes façons et points de vue. C’est une technologie qui correspond à des considérations d’ordre esthétique, voire philosophique, ou même spirituelle, déjà présentes dans mon travail. Je me suis toujours intéressé aux nombres, aux formules mathématiques, au principe de transformation, aux éléments perpétuels et infini, au karma...

S.P. : D’une part, vos oeuvres réfèrent à grands concepts, des grands symboles de l’humanité, des principes universels, mais elles comportent également un côté ludique. Soudainement, elles prennent un aspect humoristique inattendu, à partir de thématiques profondes et sérieuses. L’aspect ludique du QTVR appuie ce parti pris. En effet, la technologie donne lieu à une promenade durant laquelle il faut trouver quelque chose, un lien, un mot, un objet. Un peu comme une chasse au trésor.

D.D. : Elles déclenchent un sourire... parfois, souhaitons-le. C’est à la fois inconscient, voulu et plus fort que moi. Ce côté ludique est, je crois, aussi lié à des sentiments intérieurs.

S.P. : Le QTVR permet aussi d’aborder la question du rapport entre l’être humain et ce qui l’entoure, une thématique très présente dans votre travail.

D.D. : En effet. La référence au corps humain, dans ses dimensions physique aussi bien que psychique m'a beaucoup intéressé. À l’intérieur de ces panoramas, nous avons véritablement l’impression de nous déplacer . De plus, la fluidité, le son directionnel, les éléments interactifs les « hotspots », déclenchent des mécanismes cognitifs. Ce qui m’intéresse dans cette technologie contrairement aux « vrais » outils de VR sur le Web, c’est la conscience d'un environnement permettant d'établir une relation immédiate avec le réel.

S .P. : Comment voyez-vous l’évolution du Web et de ces technologies, ainsi que l’impact qu’ils peuvent avoir sur les utilisateurs ?

D.D. : L’évolution rapide de ces technologies nous fait entrevoir des possibilités intéressantes. Par exemple, la lecture en transit (streaming), le QTVR 3D qui permet d’accomplir des rotations et des mouvements sur tous les axes, l’intégration de vidéo panoramique. Il est question ici d’environnements qui bougent autour de nous en temps réel et à l'intérieur desquels il est possible de se déplacer. Les premiers systèmes sont déjà sur le marché. De telles innovations auront certainement des incidences au niveau de la perception du temps et du rapport des humains entre eux.

S.P. : Chaque nouvelle technologie entraîne de profonds changements quant aux conceptions de soi, des autres, de l’espace, du temps et nous bouscule dans nos certitudes.

D.D. : Je fais de la téléconférence depuis dix ans avec CU-SeeMe, des vidéophones ou encore des sytèmes de plus haute gamme tel Picture-Tel, et ce dans différents contextes tant publics que privés. D’ici peu, les gens se regarderont et se parleront d'où qu'ils soient. Nous pourrons interagir au sein d’événements s’étant produits dans le passé. Tour ceci peut sembler encore particulier, voire étrange, mais je crois qu'au fond cela s'inscrit à l'intérieur du besoin de l'humanité de communiquer de participer au reflet des autres et de se réinventer.

S.P. : J’aimerais également souligner l’importance de la collaboration et de la communication dans votre travail, aussi bien dans vos projets Web que dans toutes vos activités.

D.D. : Aujourd'hui, dans le domaine du multimédia et des nouvelles technologies, il faut presque, inévitablement, travailler avec d'autres personnes, mais en réalité, cela correspond à ma façon de faire, quelque soit le contexte ou le médium. J’ai collaboré régulièrement avec Su Schnee dans le cadre de plusieurs projets, notamment celui du World Tea Party - un événement qui change constamment de forme et qui implique à chaque manifestation nombre d'individus et de communautés -, auquel participe également bryan mulvihill. Dans mes projets vidéo et Web, j’ai travaillé entre autre avec Brad Todd, Claude-Marie Caron et Philippe Poloni. Mes activités liées à ma position de co-directeur de la galerie Oboro m’emmènent à travailler continuellement avec d'autres personnes. Je suis quelqu’un de mathématique, d’arithmétique, j’aime l’ordre, les structures et même beaucoup travailler seul dans mon studio. Néanmoins, je trouve que la discussion, le dialogue et la communication, m’oblige à modifier de cap, d’une manière créatrice.

S.P. : Cette prise de position en faveur de la collaboration et de la communication s’inscrit également dans votre démarche philosophique, spirituelle.

D.D. :Tout change sans cesse autour de nous et la collaboration participe au principe de transformation. De même, les processus de changement, l’évolution de la pensée des êtres humains et de la planète font partie de mes préoccupations. Ce sont des questions qui ont à voir avec une conscience globale

 

 



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