Base artistique


La question artistique essentielle au sujet du médium des Mondes virtuels interactifs est celle-ci: en quoi son langage d'expression est-il caractéristique, en même temps qu'unique? Plus important encore est l'usage à volonté, et interactif, de la caméra également devenu disponible pour le spectateur. Cette navigation délibérée du Monde dans l'espace, et dans le temps (grâce à des visites multiples), rend possible l'usage d'une topologie expérimentale non-linéaire pour l'exploration et la reconnaissance du développement de l'oeuvre.

Les implications pour la navigation libre veulent aussi dire que ces mouvements et visions peuvent susciter des événements qui font évoluer l'état de l'apparence du Monde, du son, du comportement et du récit. Au lieu d'une séquence linéaire de mouvement et de montage, le Monde peut maintenant être vu comme un ensemble de contraintes et de champs de force ayant une influence sur le libre mouvement et la perception de la caméra responsable de l'identité. De plus, ces contraintes et ces champs influencent le comportement des entités, des objets et des personnages situés dans l'environnement, ainsi que le développement et le déroulement du récit. Deux aspects clés de la présence d'une Volonté navigatrice dans un Monde non-déterministe sont la capacité de susciter des événements, premièrement, en se trouvant en "proximité" avec la position dans l'espace-temps de la caméra, et deuxièmement, suivant la "visibilité" des aspects du Monde relativement à la caméra.

Le concept de liberté de navigation spatiale est assez simple à comprendre, mais il est important de se souvenir que la liberté de navigation implique la re-visitation des scènes et des expériences, même dans différents contextes et différentes sessions. Ainsi la liberté de navigation n'est pas simplement spatiale mais aussi temporelle. De plus, deux spectateurs se mouvant à travers le même Monde, même au même moment, peuvent être les témoins de différentes choses et d'événements différents. Le continuum temps-espace-savoir est tellement complexe que pour la première fois sont suggérées les conditions de tous les jours sous lesquelles nous vivons de manière routinière. Cependant, il est important de noter qu'il n'est nul besoin de créer une vérisimilitude pour cette idée de "tous les jours". En particulier, les lois de la physique n'ont pas à être obéies, ni la causalité, ni la rationalité. Nous avons devant nous un canevas vierge appelé "vie", peu importe ce que cela veut dire. Ce qui est "réel" est précisément ce qui est présent dans l'expérience de "volition" de votre instance du "Monde".

Un aspect de l'identité qui semble différer de notre expérience, mais qui demeure à l'intérieur du champ de variation de ce médium, est le changement de point de vue de l'omniscience à l'objectivité, en passant par tous les points entre les deux. On peut voir les effets les plus dramatiques de ces changements dans la vision de la caméra. Si la vision est omnisciente, la caméra rend accessible au spectateur toute expérience et toute information pertinente pour la compréhension du récit ou du développement sensoriel. Plus le point de vue devient subjectif, plus la caméra peut commencer à prendre un point de vue à la troisième personne dans lequel le "corps" géométrique du spectateur est dans la caméra. Finalement, quand le point de vue devient entièrement subjectif, le point de vue se déplace à l'intérieur du corps géométrique qui devient dès lors peut-être entièrement invisible pour la vision personnelle, comme si l'identité du spectateur était une "singularité" subjective désincarnée et flottante.

Ceci nous conduit à la notion de "montage" dans les Mondes virtuels. Cette notion est trop complexe pour être discutée ici en détail, et de toute manière elle n'est pas encore complètement comprise. Cependant, il est utile de mentionner que le fait d'interpréter et de créer des "interrupteurs (switchs)" suscite des "coupures (cuts)" traditionnelles, et que la navigation de la caméra fournit les traditionnels mouvements de caméra au cinéma que sont le panoramique, le contre-champ, le travelling et le zoom. Des techniques nouvelles additionnelles autorisent un "changement d'échelle" qui offre le moyen de réaliser une "coupure continue" selon le contexte et le rapport de grandeur, et un "changement d'identité" fournissant un moyen d'ajuster sans heurt le contexte personnel de perception au sein de la même scène "objective". On attend encore l'"Eisenstein" des Mondes virtuels interactifs capable de créer une taxinomie du montage non-linéaire à peu près complète qui définisse le médium selon une "grammaire" du changement de point de vue de manière à suggérer un développement narratif dans l'espace et le temps ainsi que l'identité.

L'aspect artistique des Mondes virtuels interactifs lié le plus étroitement aux aspects techniques du médium est la surface, sans solution de continuité, de différents types de médias unifiés par une expérience spatiale et temporelle en 3D. Cette "surface sensorielle" est composée de son, musique, parole, images, vecteurs graphiques, texte, vidéo, géométrie, et éclairage. Et surtout, puisque l'éclairage et les caméras sont virtuels et n'existent pas dans le temps et l'espace, il est facile de créer des angles et des positions d'éclairage et de caméra qui se seraient révélés impossibles lors de véritables tournages.

Finalement, un aspect intéressant, et possiblement utilisable du médium, est la présence "partagée" par des utilisateurs multiples. Dans ce cas, deux identités navigatrices ou plus peuvent se déplacer et communiquer à l'intérieur du contexte de la même "illusion" d'un Monde partagé, tout comme nous le faisons en "réalité".



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