Discussion télévisée entre Olia Lialina, Igor Stromajer et Rossitza
Daskalova pendant la tenue de La Biennale de Montréal 2000
Rossitza Daskalova : Vous êtes deux des premiers net.artistes de l'ex-bloc de l'Est.
Comment votre carrière de net.artistes a-t-elle commencée?
Igor Stromajer : J'ai fait le passage du théâtre au net.art. La plupart du temps, les
artistes du net.art proviennent des arts visuels. À un moment donné, il m'a
semblé que le théâtre n'était pas assez intime, pas assez interactif non
plus. Puis j'ai découvert l'Internet en 1996 et je me suis dit, ça y est,
j'ai trouvé. Peut-être que je n'arrivais pas à faire ce que je désirais en
théâtre, peut-être que je n'avais pas l'aptitude nécessaire, mais le fait
est que lorsque j'ai découvert le net.art, j'ai décidé de me diriger vers
cette forme d'art. À la fin de ma période théâtrale en 1995, j'ai fait une
dernière performance avec une seule actrice et pour un seul spectateur. Ce
type de communication très intime était analogue à l'Internet pour moi. La
situation que nous avions conçue pour l'espace théâtral n'était pas
organisée et planifiée de la manière habituelle. Il y avait de la place pour
l'improvisation et la performance s'est révélée réellement spontanée et
interactive. À partir de ce moment-là, je ne pouvais pas aller plus loin
dans cette forme théâtrale. C'était la dernière station. D'une certaine
manière, j'étais "forcé" de me diriger vers le Web et j'en suis heureux,
bien entendu.
Olia Lialina: J'ai commencé en 1995 alors que je ne m'y attendais pas, lorsque j'ai
décidé de créer une page d'accueil d'archive pour notre club de film
expérimental à Moscou, le CINE FANTOM. Je me suis tellement impliquée dans
la réalisation de pages Web et dans une réflexion concernant la manière de
présenter le film en ligne qu'à partir de ce moment, j'ai décidé de faire
des net.films. J'ai commencé à créer des net.histoires, des histoires qui
existent sur le Web et qui concernent le Web.
R.D. : Souhaitez-vous revenir au film?
O.L. : Je pense revenir au film dans le contexte de l'Internet. J'ai déjà
fait cette transition du film à l'Internet, je veux plutôt travailler avec
le film en ligne parce que la technologie permet maintenant de travailler
avec la lecture en transit (streaming) et d'atteindre une bonne qualité lors
de l'utilisation de films, de matériels vidéo et audio. Mais attention, je
ne veux pas simplement présenter des fichiers film ou vidéo en ligne mais
les intégrer de manières intéressantes et inattendues.
R.D. : De nombreuses oeuvres intéressantes et stimulantes ont été réalisées
par des artistes de l'Europe de l'Est ou, pour être plus précise de l'ex-Bloc
de l'Est. Ces artistes sont très présents sur le Web. Ils influencent la
physionomie du net.art et offrent de nouvelles directions pour son
évolution. Comment expliquez-vous ce phénomène?
I.S. : Premièrement, bien entendu, il y a cette question de la définition
entre l'Europe de l'est et de l'ouest et les manières de définir les
frontières entre les deux. Il est très difficile de parler pour tous les
artistes parce que nous sommes très différents et très individuels. Alors je
parlerai pour moi-même et je dirai que c'est bien relatif. Parfois, je me
sens très heureux, je chante, je danse, je bois et je me conçois comme
européen de l'Est, et d'autres fois, je me sens épuisé, très fatigué et même
démocratique et c'est ainsi que je me perçois comme étant de l'Ouest. Alors,
cela dépend toujours de la situation et de cette question de savoir où
tracer cette frontière. Si vous considérez l'utilisation de l'Internet comme
un médium pour l'art dans cette zone qui est encore appelée Europe de l'Est,
et pourquoi pas, c'est un fait que la technologie et les ordinateurs (les
ordinateurs normaux, pas les machines ultra rapides) sont abordables. Ils ne
sont pas dispendieux. Il y a plusieurs centres en multimedia où les gens
peuvent se rendre et créer. Pour la production professionnelle de film ou de
théâtre, vous avez besoin de beaucoup d'argent, mais pour le net.art vous
avez seulement besoin d'un ordinateur. Cependant, pour retourner à votre
question du début, il faut définir l'Europe de l'Est. Est-ce que le Canada
fait partie de l'Europe de l'Est ou pas? Je ne sais pas.
O.L. : Je pense qu'il y a peut-être une réponse simple à cette question: au
début des années '90, il y a eu un intérêt très grand pour les artistes de
l'Europe de l'Est et ceux-ci ont reçu beaucoup attention. Mais peut-être
est-ce la réponse la plus primitive. En ce qui concerne les artistes de
l'Europe de l'Est, et les artistes russes en particulier, je peux établir un
parallèle entre les manières que l'Internet a émergé en Amérique, en Europe
de l'Ouest et en Europe de l'Est. En Amérique, l'Internet est apparu un jour
et, disons, le jour suivant, il s'est retrouvé dans chaque maison. Il est
devenu soudainement disponible et un outil très utile, confortable et
accessible à tous d'utilisation, immédiatement. En Europe de l'Ouest, le
processus a été un peu plus lent. Finalement, en Europe de l'Est, en Russie
en particulier, la manière que l'Internet s'est répandu a été très, très
lente. Pour ces raisons, les artistes russes ont eu plus de temps pour
penser à ce médium, à travailler avec celui-ci de manières créatives, et
d'expérimenter. L'Internet n'était pas immédiatement une chaise confortable
sur laquelle s'asseoir. Il était perçu comme quelque chose d'extraordinaire,
de pas ordinaire. Par certains aspects, c'était comme travailler autour de
cette chaise, et peut-être regarder ce qu'il y avait en dessous pour mieux
la comprendre. Je dirais que dans cette partie du monde, il y avait de la
place pour s'amuser avec le médium Internet.
I.S.: Il y aurait une autre direction à prendre pour répondre à cette
question, bien qu'il y en a plusieurs, probablement. Les pays de l'Europe de
l'Est, exception faite de la Russie et la Pologne, en sont pas vastes en
comparaison avec les États-Unis et le Canada. Alors peut-être que la
communication entre ces pays s'est développé plus rapidement, parce que le
réseau entre les artistes,et les conservateurs, en comprenant tous les
centres d'art médiatiques, les festivale et événements est devenus
accessible. D'un autre côté, l'Internet est international pour commencer et
il est très difficile de demeurer local lorsqu'on travaille avec ce médium.
Cela dépend d'un pays à l'autre. Notre pays, la Slovénie, est tellement
petit et il y avait peu de références théoriques pour l'art contemporain et
le net.art. Plusieurs artistes sont sortis dans le monde pour travailler et
obtenir une réponse critique, l'Internet étant un des moyens avec lequel
cela est devenu possible.
R.D. : Merci beaucoup et j'ai hâte de voir vos oeuvres futures sur le Web et d'être à nouveau
surprise par celles-ci.
O.L : Merci.
I.S. : Merci.