par Nina Czegledy

MEDIA MODEL

Le 31 août 2000 à 18h était inaugurée l’exposition Media Model à l’espace Mucsarnok/Kunsthalle de Budapest. À 17h30, des mains étaient toujours occupées à installer et à ajuster les ordinateurs. Mais quelques instants plus tard (comme par magie ?) l’invité spécial Siegfried Zielinski, recteur fondateur de l’Académie des nouveaux médias à Cologne (KHM) inaugurait cette exposition exhaustive, premier événement d’une suite d’expositions organisées dans le contexte du programme du millénaire culturel en Hongrie.

Au-delà d’une rétrospective et d’un survol contemporain, Media Model s’est révélée une exposition phare. « Pour la première fois en Hongrie, les artistes en nouveaux médias ont été considérés sur le même plan que les autres dans le contexte d’un événement culturel important » affirmait Zoltan Szegedy-Maszak, un des participants, également impliqué dans l’organisation de l’exposition.

La participation de près de 80 artistes aurait pu faire dévier le projet des concepts solides élaborés par les conservateurs. En plus de l’exposition, un ensemble d’événements incluant des performances, des projections vidéos, des présentations et des conférences, s’ajoutaient afin de fournir une perspective beaucoup plus large. Elle constituait la première occasion pour les publics hongrois de voir les réalisations majeures dans le domaine des nouveaux médias en Hongrie des dix dernières années.

« Il y a seulement deux ans, il aurait été impossible de trouver suffisamment d’oeuvres hongroises mais maintenant, il y en a plus que cette exposition peut en présenter » affirmait Miklos Peternak, co-conservateur de l’exposition (avec Laszlo Beke) lors d’une entrevue.

Miklos Peternak est bien placé pour le savoir. Il est une figure clé dans le milieu des nouveaux médias en Hongrie, en tant que directeur du C3 , le Centre pour la Culture et la Communication, et Président du Intermedia Department de l’Académie des beaux-arts.

La vaste étendue des travaux montrés à Media Model, représentait clairement la diversité des activités actuelles et permettait de réfléchir sur les origines et l’émergence de cette forme d’art dans le pays.

 

HISTOIRE

Au-delà de l’exposition, les sources des arts médiatiques hongrois m’intéressaient beaucoup. Quelles sont les motivations de cette activité vigoureuse? Est-elle issue de la tradition du film expérimental? Est-elle dûe aux meilleures possibilités d’accès que celles des pays avoisinants? Quels sont les instigateurs? Les connaissances étendues de Miklos Peternak sur l’histoire culturelle contemporaine hongroise permettait de mettre en relief le contexte et l’environnement de cette révolution médiatique.

Cet article est principalement inspiré d’entrevues réalisées avec Peternak et Szegedy-Maszak et cherche à faire ressortir l’évolution des nouveaux médias en Hongrie à travers le développement des organismes (éducationnels) et les points de vues d’artistes. Bien entendu, plusieurs autres individus sont impliqués dans le milieu des nouveaux médias en Hongrie. Toutefois, dans le cadre de cet article, il est impossible de sonder en profondeur toutes les contributions.

Peternak donne le crédit de ses développements, en premier lieu, aux changements dans les secteurs politique, économique et technique en Hongrie au tournant du 20e siècle, comme source importante d’une croissance continue. Les plus grands innovateurs de cette période trouvaient très important de créer un contexte culturel d’ensemble. Leurs initiatives se sont révélées des facteurs décisifs pour les décennies qui ont suivies.

Dans les années ’20 et ’30, Laszlo Moholy Nagy et quelques autres Hongrois affiliés au mouvement Bauhaus ont grandement contribué aux discours sur les rapports entre l’art et les technologies avec leurs innovations percutantes. Après les années de guerre, les concepts du Bauhaus ont été redécouverts dans les années ’50. En surface, les thèmes des années ’60 et ceux des années ’30 paraissent distants mais un continuum peut être observé entre ces époques à travers le travail de certains individus (au milieu d’événements publics turbulents). À titre d’exemple, Miklos Erdely, un artiste multidisciplinaire d’avant-garde - avouant lui-même avoir été un « catalyseur esthétique » - pour son travail dans les domaines du films et de la vidéos expérimentaux, s’inspire de tendances particulières initiées par Lajos Kassak, une figure importante des années ’30.

Dans les années ’70, la structure politique s’assouplissait lentement et l’extension des frontières a contribué à l’ouverture de nouvelles expressions artistiques. Plusieurs artistes se sont intéressés aux nouvelles technologies, après avoir délaissé la photographie, particulièrement dans le domaine du cinéma. Les studios Bela Balaza (BBS) pour le cinéma ont été mis sur pied aussi tôt que 1961. Tandis que le Studio expérimental devait servir de « terrain de jeu », bien supervisé, pour les jeunes réalisateurs talentueux, BBS est devenu de plus en plus ouvert à ceux qui n’avaient jamais été impliqués dans la production cinématographique, tels que Gabor Body, un diplômé en philosophie qui est devenu plus tard un réalisateur de films et de vidéos reconnu internationalement. Body, réalisant son premier vidéo en 1976, était la première personne à travailler avec ce médium dans un contexte artistique. « Infermental », la série de vidéos internationales montées annuellement a été saluée comme étant le «magazine de l’art» des années ‘80. L’artiste récoltait et rassemblait le travail d’individus travaillant dans des zones éloignées et a colmaté la brèche de l’information jusqu’à ce que de nouvelles formes de communications apparaissent.

La réalisation de vidéos d’art a débuté au début des années ’80 dans les studio BBS. À cette pédiode, personne ne pouvait prévoir la révolution des communications et des pratiques en réseau. « Ce que le Web représente aujourd’hui - affirme Peternak - paraissait comme une histoire futuriste de science-fiction » .

 

INTERMEDIA

Vers la fin des années ’80, un vent de changement politique s’est fait sentir, entraînant des réformes académiques. Des étudiants ont exercé des pressions sur l’Académie des Beaux-Arts durant l’été 1990, ce qui a eu pour conséquence que l’Académie a invité 15 nouveaux professeurs et a mis sur pied deux nouvelles facultés, dont une d’elle est le Département Intermedia qui survit toujours et s’est épanoui jusqu’à maintenant. Quelques étudiants en beaux-arts se sont impliqués et ont travaillé avec beaucoup d’enthousiasme dans le département Intermédia. Le premier groupe de diplômés était très fort et l’hyperactivité de ces années du début a soutenu le département durant la dernière décennie.

Zoltan Szegedy Maszak faisait partie de ces étudiants en beaux-arts qui a influencé l’évolution des nouveaux médias et qui a vu sa vie professionnelle transformée par ces changements. L’intérêt de Zoltan pour les ordinateurs remonte à ses études secondaires. Il avait alors commencé à programmer des machines primitives et à concevoir des installations en utilisant les possibilités propres de ces premiers outils. Après la fin de ses études, Szegedy-Maszak a été invité à demeurer et à enseigner pour l’Académie.

Dès les débuts, Intermedia, avait pour objectif d’enseigner les nouvelles technologies dans le secteur des arts. Dans une structure éducationnelle hiérarchique, il était important de créer un environnement au sein duquel aucun médium artistique n’était mis de côté et d’inclure au programme l’utilisation d’outils de communications. À l’Académie, la formation en informatique a été initié par Tamas Waliczky avec des ressources absolument minimales ou inexistantes. Bien que ce département dispose de peu de ressources, les travaux qui y ont été réalisés et qui sont présentés à l'’exposition Media Model témoignent d’une créativité inspirée. L’Académie des Arts Appliqués et du Design est devenue un autre lieu où des travaux réussis d’étudiants furent réalisés. Les théories et pratiques en nouveaux médias ainsi que le journalisme électronique sont enseignés dans plusieurs universités hongroises, en plus des Académies. Un large éventail d’organisations, soi-disant amateures, dans les domaines du film, de la vidéo et de l’informatique continuent leurs réalisations, par exemple la « Visual Economic Brigade » produit des oeuvres alternatives importantes.

La diffusion des arts médiatiques demeurait cependant un problème. Ce n’est qu’en 1991 qu’une exposition hongroise, Sub Voce fut consacrée à l’installation vidéo. Les trois symposiums Metaforum qui se sont tenus durant les années ’90 et les publications du Media Research Group ont largement contribué à l’évolution d’un champ théorique et conceptuel. À un moment déterminant, lorsque le département Intermédia est devenu plus établi - le projet Butterfly Effect, maintenant illustre, une exposition et un symposium international en arts médiatiques, a été organisé, et a apporté une grande reconnaissance aux initiatives en nouveaux médias en Hongrie. Ce contexte a conduit à la fondation du C3, le Centre pour la Culture et la Communication.

 

C3

Situé dans la zone historique du Château, le C3 est caractérisé par une activité incessante, jour et nuit. L’objectif du C3 était de mettre sur pied un espace qui agirait comme catalyseur afin de rendre possible la réalisation de projets artistiques et culturels. La priorité majeure, à ses débuts, était de créer une conscience de l’existence du réseau Internet chez le public. Un accès public à 8 postes informatiques a été fourni pendant 10 heures chaque jour. Des cours aux enfants et aux étudiants ont été mis sur pied. Le laboratoire audio et radio sur le Web Pararadio a vu le jour en 1997 et est resté actif depuis comme forum populaire. Le programme international de résidences a accueilli à Budapest des artistes réputés tel que Bill Seaman et d’autres, tels que Alex Shulgin, Olia Lialina et JODI, qui étaient moins connus à l’époque. Au même moment, le C3 offrait l’accès à des artistes locaux afin de donner la possibilité aux Hongrois de présenter leur travail à l’étranger. Aujourd’hui, l’accès institutionnel est répandu à Budapest et il existe plusieurs serveurs Web et des Cafés Internet dans tout le pays.

Récemment, le C3 se trouvait dans la position de choisir entre la fermeture de son programme ou la restructuration de l’organisation en vue d'en faire un organisme indépendant. C3 a opté pour cette dernière alternative, et par conséquent, la sécurité financière et le support accordé au budget d’opération sont devenus des priorités majeures. Toutefois, il offre toujours un soutien à certains projets d’art et plusieurs connections internationales continuent d’exister, des collaborations avec le réseau ENKART, Ars Electronica, V2 et ZKM, notamment.

 

ZOLTAN SZEGEDY-MASZAK

Au cours de la dernière décennie, Zoltan Szegedy-Maszak est resté impliqué aussi bien à l’Académie et à C3 (le travail simultané est une pratique courante pour plusieurs Hongrois) tout en produisant un ensemble impressionnant d’oeuvres personnelles. Demedusator, un projet Web en VRML, développé en collaboration avec Marton Fernezelyi est un de ces travaux, « un monde virtuel partagé et développé par ses visiteurs ». Szegedy-Maszak admet que la création personnelle ne l’a jamais beaucoup intéressé. Il aime travailler à la programmation, développer la structure elle-même, mais il a presque toujours développé ses projets en collaboration avec d’autres. Le projet Promenade (créé avec Marton Fernezelyi) est un autre bon exemple créatif de ce travail collectif. Grâce à l’utilisation manuelle d’un mécanisme de navigation, le visiteur de la Promenade peut sonder des salles virtuelles en marchant dans l’espace réel, permettant ainsi au « participant » d’examiner les rapports entre les espaces « réels » et « virtuels ». La création d’un système qui permet de retracer les parcours est un des aspects majeurs de Promenade, qui est devenu par la suite, un élément intégral de l’installation. De même, dans la plupart des travaux de l’équipe, un nouvel outil est élaboré.

Small Talk, la dernière installation résultante de la collaboration de Szegedy-Maszak, Marton Fernezelyi et Robert Langh, est fondé sur un outil de conversation robotique et était lancé à l’exposition Media Model. Szegedy-Maszak était impliqué à plus d’un niveau dans cette exposition. Plusieurs des projets exposés, 16 en tout, ont été réalisés sous sa supervision au C3. Pour lui, il était gratifiant de constater que les artistes hongrois ont intégré le mode interactif dans leur pratique et l’ont employé de manière productive et ce, à l’intérieur d’une petite décennie.

 

OEUVRES

Media Model était axée sur la présentation de plusieurs oeuvres importantes des débuts, des projets spécifiques inédits, des collaborations éducatives et les plus récentes oeuvres d’artistes de la relève en Hongrie, de même que les projets développés au C3. On pouvait y voir des images numériques de Eva Gyarmati intitulées Objects To Be Viewed With One Eye, ou Name Written on the Water, une « hydrographie » de Julius Gyula, Un-titled de Katalin Gyorgy, fait de toile et de néons, où ceux-ci n’étaient visibles qu’à travers de petits trous poinçonnés dans une surface noire, bref, toutes les formes et « informes » de la technologies pouvaient être expérimentées à Media Model.

L’oeuvre Transitional Spaces de Gyorgy Legrady (qui partage son temps entre l’Europe et les États-Unis) était, sans aucun doute une des installations interactives les plus ambitieuses de l’exposition. Le visiteur remarquait initialement des colonnes verticales de lettres floues sur un mur noir. Des caméras liées à des senseurs de mouvements détectaient les déplacements du visiteur et lorsque celui-ci s’arrêtait pour examiner l’installation, les lettres se précisaient graduellement, en suivant le mouvement du visiteur, produisant une forme élégante et subtile d’interaction.

Screen Saver with Entertainment, une oeuvre à médias mixtes (video, broderie) d’Eszter Agnes Szabo fut pour moi la meilleure installation à cause de son caractère fantaisiste. Le sauveur d’écran est pour l’artiste une nouvelle variété de la broderie traditionnelle de cuisine telle qu’on la voit dans toutes les cuisines de campagne, et est devenue un objet de collection.

Media Model comportait aussi des événements adjacents tels que l’excellente performance de Vaccuum TV : The Mechanical TV, divertissant une large foule lors du vernissage. Ou alors les jeux de sons et lumières du "Self-tuning piano" qui présentait un orgue électronique en direct dont l’interface était faite d’un réseau nerveux artificiel. Sur une note plus légère, les visiteurs pouvaient assister à la performance de TABULA RASA, une brigade interdisciplinaire, tandis que des programmeurs sérieux étaient absorbés par la présentation du projet Storygenerator conçu par Erika Katalina Pasztor. Une attention a aussi été accordée à la culture médiatique des pays avoisinants, et l’événement incluait la présentation de Apsolutno du collectif de Novi Sad en Yougoslavie, et le programme de vidéos contemporains slovaques de Kei Sei.

 

CONCLUSION

Media Model a certainement fait la preuve qu’une nouvelle génération d’artistes médiatiques est apparue dans la région, tout spécialement en Hongrie. Une nouvelle génération dont le travail peut paraître plus simple techniquement, mais qui s’avère conceptuellement équivalent aux travaux qui sont habituellement montrés sur la scène internationale. Jusqu’à maintenant, la validité même de l’art médiatique était remise en question dans le contexte culturel élargi en Hongrie. Le succès de l’exposition Media Model a fait la preuve de la diversité créative ingénieuse des artistes participants et de l’intérêt véritable du public général face à l’art médiatique hongrois.

 

Nina Czegledy

Nina Czegledy, une artiste indépendante dans le domaine des arts médiatiques, également commissaire et auteure, partage son temps entre le Canada et l’Europe. Son exposition actuelle Digitized Bodies Virtual Spectacles, un projet collaboratif (Canada/Hongrie) comprend une série d’événements en ligne et dans l’espace physique se déroulant en 2000 et 2001. Ses présentations précédentes incluent : CAiiA 1/2, ISEA98, Invencao99, notamment. Ses projets d’exposition conçus récemment dans le champ de l’art électronique sont : Choice (Stockholm, Skinnskatteberg,1999), Touch:Touche (Toronto, Montreal, Regina,1999), Gisèle Trudel (Toronto, 1999) Aurora (Toronto 1998). The Aurora Universalis/Makrolab (en collaboration avec Stephen Kovats ) initié en 1997, inclue des présentations « in-progress » à SpaceArt99 et ISEA98

Parmi ses travaux numériques interactifs, on compte le CD ROM Aurora (Virtual Revolutions project), le CD ROM Digitized Bodies, les installations interactives Triptych-Her Story et the Y2K Monsters. Czegledy est co-commissaire avec Iliyana Nedkova du projet Crossing Over (Sofia, Novi Sad, Ljubljana, Colombus (1996-2000) qui a produit près de 20 vidéos et a élaboré des programmes de circulation dans plus de 28 pays lors de la dernière décennie.

Ses plus récentes publications sont: Reframing Consciousness ed. R. Ascott (1999 and 2000); "Mediated Bodies "avec Andre P.Czegledy dans: The body caught in the computer intestines and beyond, Ed. Marina Grzinic (2000); Digitized Bodies Virtual Spectacles avec Andre P.Czegledy (2000, Futures, UK); Transcribing the Body, avec Andre P.Czegledy (Anomalies, à paraître) Media Revolution ed. Stephen Kovats (1999).

 

 

 



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