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Selbst-los / Self-less, 1999 (ALLEMAGNE)


STATEMENT:
Vous pouvez ouvrir les trois pages maintenant. Seulement vous pourrez voir ce que vous allez voir, personne d'autre. C'est une œvre d'art unique en trois volets, que vous pourrez imprimer pour votre collection. Elle devra être numérotée et signée au moment de son impression. La première page est une image de moi-même (1969), qui perdra «un pixel» au moment où vous l'ouvrirez. Vous pourrez le voir et l'entendre. Sur la seconde page vous retrouverez ce même pixel, celui que vous aurez perdu, dans sa position originale, mais seulement celui-là, votre pixel personnel. Sur une troisième page tous les pixels perdus par vous ou d'autres usagers formeront une autre image, qui correspondra au positif de la première impression en négatif avec une légère différence. Mon Moi, qui aura semblé disparaître, reviendra alors. S'il vous plaît, si vous le voulez, inscrivez votre nom dans la communauté des collectionneurs : la Collection publique. Seulement dans la totalité de tous les fragments globalement distribués, le processus de mon départ et de mon retour dans son entier pourra être imaginé comme une nouvelle pièce. Vous pourrez laisser votre nom, votre lieu et votre pays d'origine plus tard.
(Wolf Kahlen)

Ainsi, dans cette œuvre de Wolf Kahlen, on est prié non seulement d'assister, mais aussi de participer, à la transsubtantiation du corps de l'artiste qui, tel un Christ martyr de l'internet, meurt et ressuscite métaphoriquement, grâce aux clics des usagers, comme autant de prières ou de vœux qui, entendus et exaucés, aideraient le pénitent à arriver au ciel.

La référence religieuse s'impose d'elle-même (le commentaire publié dans Rhizome parle avec raison de «mort rituelle» pour qualifier cette œuvre). Ainsi, la photo de l'artiste le représente à mi-corps et de face, les bras le long du corps, rappelant par exemple (entre autres figures de gisants) l'image mystérieuse imprimée sur le Saint-Suaire de Turin. Le monde du Web serait-il donc semblable au paradis? Il semble certes porteur de promesses de vie éternelle, ou du moins d'un certain prolongement de la vie après la mort - la mort du corps réel étant niée jusqu'à un certain point par la persistance du corps virtuel.

Mais il ne faut pas oublier non plus que l'image du corps de l'artiste ainsi offerte à la manipulation, à la consommation et par là à une transsubstantiation quasi-religieuse, date de 1969. Il y a donc aussi ici présente, dans cette offrande d'une image de soi - et partant, du moi de l'artiste («My Self», répète Kahlen dans sa présentation), une recréation de la dégradation inévitable du corps humain au cours d'une période de plus de trente années (et le titre de l'œuvre, 1969 Selbst-los / Self-less 2000, où les dates (d'origine et de…fin? temporaire), sont soigneusement mentionnées, marque bien cet écoulement inéluctable du temps qui passe, pour chacun et pour tous). Mais en même temps se profile dans cette œuvre la tentative humaine, trop humaine, celle-là, de chercher à dépasser et à déjouer cette déperdition pourtant inévitable du corps et pire, de celle du moi qui l'accompagne dans la vieillesse et la mort, en s'inventant un autre corps, un corps de pixels, un corps de lumière. Ce qui est remarquable ici est que cette invention n'est pas une entreprise solitaire. Au contraire, elle a besoin, et exige, le concours des autres, d'une communauté d'internautes et d'amateurs d'art qui chacun en échange pourront emporter avec eux une œuvre à chaque fois unique et personnelle certes, témoignage de leur contribution, mais aussi une œuvre qui n'appartient quand même à personne parce qu'elle participe et n'est qu'un état de l'œuvre virtuelle qui demeure celle de tous. Ainsi Wolf Kahlen avec cette œuvre nous apparaît non seulement comme un «passionné» (au sens littéral, si l'on peut se permettre, de l'objet d'une passion quasi-religieuse), mais prend également des airs de prophète et de réformateur face à une institution qui, telle une église trop encroûtée dans ses traditions, a bien besoin d'une remise en question, à savoir l'institution du monde de l'art. Et le Web semble bien le médium qui convient pour y parvenir : en effet, par son truchement, Wolf Kahlen produit des œuvres virtuelles, ponctuelles, aléatoires, communautaires et non-marchandables, et ce faisant, il fait en même temps son salut, son saut dans l'immortalité, dans la persistance des pixels qui recréent sans cesse son image, comme humain et comme artiste. C'est en ce sens que «1969 Selbst-los / Self-less 2000» de Wolf Kahlen constitue donc bien une entreprise, non seulement esthétique et conceptuelle, mais encore authentiquement éthique.


 

Anne-Marie Boisvert

 


 

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