About the Other Animals
About the Other Animals
About the Other Animals
About the Other Animals
œuvre 1


ABOUT THE OTHER ANIMALS,
Un poème d'Ariana-Sophia KARSONIS, illustré par Julie POTVIN, avec musique de Philippe GULLY, 2003



About the Other Animals Le poème d'Ariana-Sophia Karsonis, About the Other Animals s'inscrit comme une relecture du déluge biblique, dans laquelle Noé promet vainement aux autres animaux, ceux qu'il n'a pu inclure dans l'arche, de revenir les sauver. Le poème se présente comme une allégorie plutôt opaque, possédant une inquiétante beauté. Puis le sous-texte se révèle, les animaux oubliés sont comparés à Pénélope et Ariane, la femme anonyme de Noé1 est évoquée (« Noah of the nameless wife »), et, subtilement, le récit du Déluge fait place à un autre, celui du Jardin d'Éden :

So many wives'
tales later, rotten apples, borrowed
ribs, snakes in trees, gaps
in the telling and retelling
and untelling.


Le sens est ainsi révélé : les « autres animaux » sont les petits frères des grandes abandonnées des récits mythologiques et bibliques, de Pénélope tissant sa toile avec une patience proverbiale en attendant le retour d'Ulysse, d'Ariane utilisée par Thésée puis oubliée par lui sur l'île de Naxos, des femmes et brus innommées de Noé, d'Ève et autres Pandore à qui un imaginaire religieux masculin fait remonter la source de tout mal. Le poème est un hommage à l'altérité et à l'intégrité de toutes les créatures absentes, celles qui ont préféré refuser leur passage plutôt que de mendier leur salut :

These refined beasts were in no hurry to catch the fleeing ark.
The lost creatures denied
their passage.
Always other, always animal.


L'animation de Julie Potvin appuie les oppositions impliquées par le texte (humain/animal ; masculin/féminin ; même/autre ; terre/mer, etc.) en divisant l'écran en deux. La partie inférieure, bleue, d'abord presque imperceptible, envahit peu à peu, telle une marée de déluge, la partie supérieure, blanche. Le poème défile juste à la surface, vers par vers, et les mots seront ultimement engloutis. Les compositions visuelles, superbes, donnent l'impression d'illustrer le poème (on reconnaît à certains moments l'arche, les vagues d'un ouragan et un bestiaire varié), tantôt de le devancer (avant même que la dernière strophe ne renvoie directement au Jardin d'Éden, l'apparition d'un étrange serpent à tête de canard, accompagnant le vers « Other claim the beasts were to blame » dirige déjà le lecteur vers ce mythe biblique), tantôt de l'ouvrir à des significations autres (étranges gouttes de pluies devenant étoiles, points de longitude ou bulles d'air).

La bande sonore, réalisée par Philippe Gully, superpose à des bruits épars et distorsionnés - parmi lesquels on reconnaît parfois le tonnerre et le clapotis d'une averse - une structure mélodique minimale, lancinante et répétitive, qui accouche continuellement d'une autre reprise d'elle-même plutôt que d'évoluer en une nouvelle phase ou d'exploser en catharsis. Lorsque les mots sont noyés par l'écran inférieur et que l'animation s'immobilise, la bande-son se réduit à son tour au seul bruit de l'eau qui s'égoutte, on croit un moment que les flots ont finalement tout englouti, les mots, les images et les notes, mais bientôt la musique reprend, et elle figure pour le lecteur méditatif l'écho lointain des deux autres voix, féminines, qui se sont tues.

Difficile de décrire la qualité d'ensemble de l'œuvre et la réussite de l'intégration médiatique sans donner dans le cliché. Disons, si ce n'est pas trop général, que toutes les facettes de l'œuvre, le poème y compris, perdraient à être séparées et profitent de leur réunion. En un sens, nous sommes assez loin de la liberté du lecteur promise - il y a déjà presque 15 ans - par les premiers écrivains et théoriciens de l'hypertexte. En fait, la lecture d'une œuvre hypermédiatique est un geste plutôt contraint : nous n'avons qu'un contrôle limité sur le défilement des vers, la musique de Philippe Gully dicte le ton de la lecture, et les compositions visuelles de Julie Potvin conditionnent notre interprétation. Mais le lecteur ne se sent pas prisonnier d'un dispositif qui enrichit son expérience, et il abandonnera volontiers les commandes, un instant, pour se ballader dans About The Other Animals et dans d'autres œuvres multimédiatiques immersives : la mer y est belle. Et le niveau monte.


Note
1 : Dans le récit biblique (Genèse 6.10, 18; 7.7, 13; 8.1, 15-16, 18), seuls les fils de Noé, Sem, Cham et Japhet sont nommés, leurs épouses respectives n'étant désignées, précisément, que comme leurs épouses.  




Samuel Archibald


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