La révolution à New York a eu lieu
La révolution à New York a eu lieu
La révolution à New York a eu lieu
La révolution à New York a eu lieu
œuvre 2


LA RÉVOLUTION À NEW-YORK A EU LIEU,
de Gregory CHATONSKY, 2003



La révolution à New York a eu lieu La mémoire de l'implosion


Il y a plus de 40 ans (1962) sortait La Jetée de Chris Marker. Œuvre envoûtante construite de photos noires et blanches et ciselée de mises en abîme (un homme, enfant, est témoin de sa propre mort comme adulte), La Jetée questionnait sans relâche la réalité du souvenir et posait un regard emprunt d'inquiétude et de mélancolie sur un monde qui semblait petit à petit échapper aux hommes.

Pourquoi mentionner ce film ? Parce que la très belle œuvre de Gregory Chatonsky (La révolution à New York a eu lieu) résonne sur notre monde comme le faisait jadis La Jetée.

Chatonsky, comme Marker, invoque la mémoire, une mémoire étrange, inhumaine, sculptée d'images et de mots. Mais alors que celle de Marker puisait son origine dans les vecteurs du temps (passé, présent, futur), celle de Chatonsky émerge de cette étrange argile, mi-homme mi-machine, qu'est le web. Pour Chatonsky, comme ce fut le cas pour Marker, la mémoire, cumulée dans un ailleurs façonné de machines, de murmures et de clairvoyances dépasse l'individu, distance la matière, la chair, le visage. Sans mémoire propre, nous disent Marker et Chatonsky, l'individu, n'est que forme évanescente qui s'étiole trop facilement dans le désordre du monde, réceptacle temporaire et mortel de l'empreinte civilisationnelle, ombre en quête de cohérence et d'unicité. Dans un monde de réminiscences machines, l'individu est recueil de fragments en constante implosion.

Implosion, telle l'effondrement des tours jumelles auxquelles Chatonsky fait directement allusion.

Implosion, tel l'esprit de l'internaute buriné par le flux et le reflux des images, mots, réalités, catastrophes et fictions de cette œuvre web.

La matière narrative de Chatonsky est cette substance propre à ce nouveau millénaire là où les machines surfent sur l'océan de nos représentations et nous en rapportent des échos de temps et des éclats de vérité. Nous nous pensons de ces échos; nous nous construisons de ces éclats.

Chatonsky nous érige une œuvre sur la mémoire du réseau, sur le souvenir de l'algorithme. En fait, nous dit Chatonsky, nous appartenons aujourd'hui à un monde dont l'ordre est au-delà de l'organique, dont l'essence est par delà l'humain, un univers qui se dresse au fur et à mesure de notre progression en lui. Si Marker, par La Jetée, a réussi à cristalliser la détresse de son époque, Chatonsky parvient, avec beaucoup de succès, à circonscrire l'éclatement de la sienne, la fascination de l'ailleurs qui la marque.

Voilà, en fait, l'essence même de la narration hypertextuelle : proposer des pistes qui excentrent le « lecteur » et le propulsent vers le lointain, un lointain gorgé d'espoirs et de promesses. Il ne faut pas lire l'hypertexte tout comme il ne faut pas lire non plus la fébrilité qui est notre quotidien. Il faut, au contraire, se laisser emporter par ses courants, ressentir sa force, écouter sa musique, se baigner de ses mots. L'hypertexte n'est ni livre, ni narration, ni propos linéaire. Il est chute dans le vide, voyage dans l'apesanteur, plongée dans l'enchevêtrement (celle des hommes et des machines, celle des fictions et des réalités, celle des violences et des plaisirs, celle des mémoires et des simulations). L'œuvre hypertextuelle qui comprend cela réfléchit au monde qui l'a enfantée. Voilà ce qu'a réussi Gregory Chatonsky : son œuvre n'est pas histoire mais résonances.

Le personnage de Marker voguait sur les courants de la mémoire et y contemplait l'ombre des réalités. Celui de Chatonsky surnage péniblement dans les tempêtes d'un nouveau réel, mosaïque de reflets dans les houles du réseau.


Ollivier Dyens


haut de page
retour

 sommaire
 dossier
 sites à voir
 entrevue 1
 entrevue 2
 œuvre 1
 œuvre 2
 œuvre 3
 œuvre 4
 œuvre 5
 crédits
 archives
 liens
 collaboration
 abonnement
 contact