Born Magazine
Poems that Go
Locus Novus
Donnie Darko
Geoff Lillemon, Oculart
Crankbunny
sites à voir


E-LIT : UN SURVOL



Benjamin Fry, Tendril e-lit : toute œuvre textuelle qui produit un sentiment d'e-extase.

Mise en garde : Le présent article/liste constitue un aperçu général et non-exhaustif de quelques uns des sites consacrés à la littérature électronique contemporaine accessibles en ligne au moment de sa rédaction en septembre 2003. Il n'inclut pas de fiction hypertextuelle; il n'inclut pas de poème en simple html, mais simplement une liste d'œuvres que j'aime (vous pouvez m'envoyer un courriel à à jhave@vif.com si vous pensez que j'ai omis quoi que soit de fantastique); il traite surtout de sites de langue anglaise (en raison de mes propres déficiences en tant que polyglotte), particulièrement ceux offrant un accès à de larges réservoirs d'œuvres diverses; il s'occupe exclusivement d'œuvres créées avec des outils informatiques et des logiciels contemporains, et ce, avec plus ou moins d'irrévérence.




La théorie littéraire des siècles passés s'est souvent caractérisée par sa révérence, centrée sur la découverte et la mise sur un piédestal d'œuvres considérées comme iconiques : des œuvres d'extrêmement haut calibre utilisant les outils, les appareils, et les tropes de leur époque d'une manière exemplaire (exemples évidents : Aristophane, Sappho, Shakespeare). La littérature électronique contemporaine (« e-lit ») a un temps de durée plus court : à mesure que les outils informatiques évoluent à une vitesse de plus en plus rapide, les praticiens se retrouvent dépassés au point de vue stylistique avec chaque nouveau sursaut évolutionniste qui se fait jour dans le domaine de l'informatique. C'est pourquoi cette liste rend seulement compte d'une brève période dans un horizon culturel voué à l'éclipse dès l'apparition la saison prochaine des nouveaux jouets informatiques.


Hommage au Marrow Monkey

Pour commencer, je tiens à rendre hommage à une œuvre marquante dans l'histoire de la littérature électronique, qui possède un haut niveau de programmation dynamique et sophistiquée : The Lair of the Marrow Monkey, créée par Erik Loyer (à voir : son « Webtake » sur le site Writing Machines de N. Katherine Hayes). Marrow Monkey a été créé en Shockwave, ce qui le démarque d'une œuvre en Flash. Remarquons à ce sujet que la pratique un peu suivie des œuvres conçues pour le Web permet à l'observateur averti d'arriver à pouvoir détecter intuitivement le type de logiciel utilisé pour leur création, de la même manière que les connaisseurs de livres anciens peuvent identifier les différentes sortes d'encre à leur odeur, ou les types de papier au toucher. Marrow Monkey est remarquable par son mélange de narration traditionnelle en voix-off et d'images interactives.1


Quelques magazines, une galerie indépendante & un meta-festival

Si vous appréciez les œuvres de qualité, alors ne manquez pas de visiter Born Magazine, une ressource majeure pour la fiction électronique. Ses archives remontent à 1997, à l'époque des œuvres de fiction en html. Born Magazine est devenu en 2003 un organisme sans but lucratif basé à Portland, Oregon. Une visite de ses archives suffit à mesurer de façon tangible l'évolution technique des œuvres Web de fiction. Born Magazine a présenté régulièrement au cours de toutes ces années un grand nombre d'œuvres de manière sensible et intelligente. Gabe Kean, son fondateur et directeur artistique actuel, possède un oeil aiguisé et évite avec habilité le piège de se raccrocher à des modalités littéraires desuètes.

Comme AnnMarie Trimble, la rédactrice de Born Magazine, le souligne : « Nous publions actuellement des interprétations par des artistes de textes de poésie et de courte prose qui nous sont soumis (dans notre section « Just Born »), mais nous réunissons également des écrivains et des artistes en nouveaux médias interactifs afin qu'ils conçoivent et qu'ils créent des projets expérimentaux en commun spécialement conçus pour ce nouveau médium qu'est le Web. »

Étant donné que toutes les œuvres des artistes comme des écrivains sont cédées à titre gracieux, et qu'elles font preuve d'une expertise technique extrêmement poussée en même temps que d'une sensibilité esthétique développée et de grande valeur, Born Magazine constitue de par son existence même un excellent argument en faveur d'un mouvement de littérature électronique « open-source », c'est-à-dire en tant que redéfinition radicale de la manière dont l'art est créé et est soutenu au point de vue économique.

Si vous êtes à la recherche d'un site particulièrement riche consacré à la poésie américaine dans le domaine des nouveaux médias, alors ne manquez pas de visiter Poems that Go, édité par Megan Sapnar et Ingrid Ankerson (à voir : le design d'Ingrid pour les Dada Sprokets). Leurs choix audacieux en matière de conservation a subi une certaine évolution, depuis les premières années avec des œuvres belles et riches au point de vue textural et symbolique, jusqu'à l'année actuelle (2003) où les exposants s'emploient avant tout à proposer des outils interactifs permettant aux utilisateurs de moduler, de mélanger, de déchiqueter et de déformer des échantillons sonores ou linguistiques. Rencontre du nouveau concret et de Flash. À voir (entre autres) : Orbital de Neil Jenkin et Spawn d'Andy Campbell).

Les archives du site Electronic Literature State of the Arts Symposium, qui s'est tenu en avril 2002, offre toujours un riche répertoire d'approches diverses du médium. Elles comprennent beaucoup de liens vers des projets sur CD-ROM, quelques-uns vers des installations, certains sont déjà caducs, mais il en demeurent quelques-uns qui ont un véritable intérêt. Voici quelques exemples d'œuvres textuelles en mouvement tirés de ces archives : une simple cartographie bilingue du poème concret français Dentelle de Pierre Albert-Birot (mis en Flash par F.J. Bergmann); les animations délicieusement sardoniques, en Java applet, de Motomichi Nakamura, adaptées des textes de Thomas Swiss; Glide, un projet plus formel et plus cérébral créé par Diane Slattery de RPI plaira à certains visiteurs par son caractère interactif et ambitieux (il permet à l'utilisateur d'expérimenter avec un langage fait de signes visuels).

Pour un répertoire aussi exhaustif que possible, rendez-vous sur le site de Electronic Literature Directory : un véritable labyrinthe de base de données d'une telle étendue que peu de visiteurs peuvent le parcourir sans d'abord faire une recherche de mots-clés. Devant une telle abondance, le visiteur ne peut s'empêcher de prendre conscience de ce qui arrive quand 6 milliard et plus d'autres humanoïdes pensants se mettent à créer simultanément. Pour une touche canadienne, voir l'œuvre intitulée Vispo, du poète et gentil polémiste prolifique de la côte Ouest, Jim Andrews. À part cette suggestion, je peux seulement vous souhaiter bonne chance dans ce répertoire; j'ai estimé en gros qu'il comporte plus de 1500 entrées seulement dans la catégorie de la poésie. Si vous êtes un historien du genre obsessif-compulsif, prenez sept semaines de vacances et menottez-vous à votre écran.

Locus Novus est une initiative de conservation séduisante débutée en l'an 2000 par Faruk Ulay. Voici ce qu'il a dire du travail qu'il expose : « Au point de vue stylistique, nous tablons sur la simplicité. La plupart des textes sont déjà expérimentaux et marginaux (i.e.. irréels), alors je n'ai pas voulu que le design empiète et nuise trop au texte. Je suis un Moderniste têtu, et par conséquent tout à fait sceptique face aux approches postmodernistes. D'où les couleurs franches, les caractères classiques, les formes géométriques simples. »

Ne vous y trompez pas, l'aspect visuel de l'index de Locus Novus (bien que redevable à Mondrian) est néanmoins habilement encodée et possède un look po-mo; et la sélection des œuvres suggère une esthétique extrêmement développée et une personnalité humaniste et sensible. Ce site est hautement recommandé si vous êtes toujours d'avis que la grâce est une qualité importante en art.

Un autre détour qui en vaut la peine : le site Web du FESTIVAL INTERNACIONAL DE LINGUAGEM ELETRÔNICA, qui se tient (géographiquement) à Sao Paulo, au Brésil, depuis maintenant quatre ans : « Son but est de promouvoir et de stimuler les créations numériques et électroniques les plus marquantes, en même temps que de développer une créativité collective et d'encourager les expérimentations à la fois esthétiques, scientifiques et technologiques ». Jetez un coup d'œil sur la liste des artistes invités, vous y retrouverez la crème de l'art numérique international. Si une telle initiative semble incongrue quand on sait que 600,000 habitants de Sao Paulo continuent à vivre dans une extrême pauvreté (c'est-à-dire dans la rue), voyez-la comme un autre signe de la folie de notre monde moderne.


Hi-Res, ou la publicité est-elle supérieure à l'art  ?

En règle générale, la littérature demeure divorcée des intérêts purement commerciaux, pourtant un corollaire fascinant de la littérature électronique est qu'un des sites de fiction les plus extraordinaires actuellement disponibles (gardez à l'esprit que ce jugement est incroyablement subjectif, autrement dit : c'est le mien) a été conçu et construit par www.hi-res.net pour promouvoir le film hollywoodien Donnie Darko. En termes de virtuosité technique (masques, faux ducuments, une structure de jeu vidéo, une intégration visuelle sans faille) ce site est un modèle du genre, auprès duquel les écrivains de littérature électronique des années à venir feraient bien d'évaluer leur travail. Naturellement le site en question a tellement été intensivement copié qu'il risque dans une couple de mois d'être pris pour un clone.

Ceci étant dit, à la racine de mon admiration pour Donnie Darko, il y a également le fait que ses concepteurs ne se sont pas simplement contentés de reproduire l'histoire du film; ils en ont dévié et ont brodé sur sa structure narrative. Cette manière « anti sacro-sainte » deviendra probablement beaucoup plus répandue à mesure qu'une interactivité plus grande encouragera les concepteurs à permettre aux utilisateurs d'éditer les œuvres de littérature électronique selon leurs goûts. Jetez un coup d'œil sur l'ensemble des réalisations de Hi-Res, à l'avant-garde d'une forme hybride qui incorpore la programmation des jeux électroniques à la fiction (le tout redevable pour beaucoup à l'hypertexte de fiction).


Tendril & TextArc : des œuvres numériques texturées pour les férus de technologie

L'œuvre de Benjamin Fry, Tendril, est à situer quand à elle dans la catégorie des œuvres trop intensives au point de vue informatique pour être présentées live sur le Web. Elle est constituée d'échantillons linguistiques dynamiques empruntés à cette entité vivante qu'est le Web. Attendez quelques années et ce type d'œuvre pourrait devenir un modèle pour les futurs économiseurs d'écran destinés aux littéraires avertis.

Si la réinterprétation numérique de la littérature est de votre goût, alors je vous conseille TextArc. C'est un outil d'analyse de texte en Java créé par W. Bradford Paley qui offre « une vue alternative du texte », en présentant le texte entier de n'importe quel roman (grâce à une large base de données fournie par la Gutenberg Foundation) sur un seul écran. Les utilisateurs manipulent ce champ dense de mots en faisceaux afin de retrouver les grandes lignes thématiques qui sous-tendent chacune des œuvres. Attention : pour les vrais nerds ou alors pour les fanas de grands classiques seulement; comme le dit Paley : « il est davantage question ici du fonctionnement de l'ensemble des éléments, de leur rapport entre eux ou des processus de pensée; moins de leur aspect visuel. »2


Ésotérique et excentrique : des snacks de fin de soirée pour les amateurs de festin nu

Si vos synapses sont stimulées à la pensée de la langue de Tristan Tzara rencontrant la sensibilité de H.P. Lovecraft injectée à travers une peinture de Francis Bacon faite par Salvador Dali sur l'acide au cours d'une explosion nucléaire dans le centre d'achat local, alors rendez-vous à www.oculart.com. Geoff Lillemon, le créateur du site, mérite une médaille en tant qu'exceptionnel excentrique de la cyber-ville. Attention, son travail peut provoquer une dépendance pouvant conduire à l'usage de drogues dures.

Si vous préférez le style « alt-NYC femme-junkie », alors Crankbunny est pour vous. Il n'y a pas beaucoup de textes ici : il s'agit pour l'essentiel d'un site de vidéos. Pourquoi donc l'inclure dans le présent article ? parce que le sens du récit implicite et les choix stylistiques de Crankbunny se verront probablement adopter par plusieurs sites de littérature électronique dans le futur. Empruntant son esthétique tant à la danse moderne, qu'aux animes et aux techno-vidéos, Crankbunny est l'œuvre de Norma V. Toraya dont le génie visuel idiosyncratique plaira probablement seulement à ceux qui sont enclins génétiquement à des états de désespoir hallucinatoire extrême; mais tant pis et pourquoi pas ! car ce sous-groupe humain risque d'être en fait assez nombreux, étant donné la folie politique courante, ne pensez-vous pas ?

Enfin, Civilités est une fiction/essai collective intelligente, conçue pour le Web, versatile au point de vue technique, et intrigante et riche dans sa profondeur et sa thématique, et qui a été présentée dans le cadre du FCMM 2003.

Comme il est dit sur le site, « Civilités est une fiction modulaire et collective regroupant dans sa phase finale une dizaine d'artistes montréalais de disciplines et d'horizons variés qui proposent différents regards sur le « vivre ensemble ». Les artistes invités questionnent les possibles espaces de confiance, de réconciliation et de cohabitation des personnes, des peuples et des religions. Des règles du fondamentalisme religieux aux mouvements de foules anonymes dans la ville, les projets abordent ainsi sous divers aspects l'organisation sociale, les normes culturelles et les espaces collectifs de pratiques communes. À partir d'interfaces représentant l'espace public, celui de la communauté et du civitas, de petites histoires se développent comme des fenêtres sur des situations plus universelles et sur un certain état du monde, pour le moins trouble et violent ».

Sous la direction d'Eva Quintas, avec une réalisation numérique de Guy Asselin, et la participation de Mathieu Beausejour (Clarke Gallery), ainsi que des photographes Isabelle Hayeur et Lisa Ndeerju (qui s'est rendue en Ikak durant la récente guerre), Civilités est une parfaite représentation de la culture montréalaise : bilingue, à l'avant-garde au niveau technologique et soucieuse de diversité.


Notes
1 : N.B. voir aussi l'entrevue avec Erik Loyer, auteur du Marrow Monkey, par Carlo Zanni, dans le présent numéro.  

2 : N.B. voir aussi le commentaire de Textarc, par Cécile Petit, dans le présent numéro.  


David 'Jhave' Johnston


haut de page
retour

 sommaire
 dossier
 sites à voir
 entrevue 1
 entrevue 2
 œuvre 1
 œuvre 2
 œuvre 3
 œuvre 4
 œuvre 5
 crédits
 archives
 liens
 collaboration
 abonnement
 contact