L’ART WEB AU QUÉBEC

Suite à l’article de Rossitza Daskalova sur l’art et les nouvelles technologies à Montréal à l’occasion de l’ouverture de Technoboro paru dans notre dernier numéro, il nous a semblé important de jeter un regard sur les oeuvres conçues pour le Web par des artistes québécois. En effet, dans notre section dévouée aux projets Web, nous n’avons commenté qu’une seule oeuvre réalisée par un artiste du Québec jusqu’à présent ! Cet article effectue donc un premier tour d’horizon modeste et ... incomplet dans le but de garder une ouverture face à d’autres projets futurs et de respecter ainsi l’évolution constante du Web. Il ne s’agit donc pas de répertorier toutes les oeuvres ni de dire le dernier mot sur la question. De plus, afin de ne pas isoler la production des artistes québécois de celle des autres, certaines des oeuvres nommées ici sont présentées plus longuement dans la rubrique Oeuvres électroniques de cette même édition et d’autres le seront prochainement, de façon régulière.

L’Internet est devenu un support important pour le texte et certains artistes misent plus spécifiquement sur cet aspect dans leurs oeuvres. C’est le cas de Richard Barbeau, par exemple, qui offre, sur son site, des projets comportant des jeux visuels sur le langage et la représentation. Avec une approche différente, Claude Lamarche-2/ NPC propose avec Trans-Late un ensemble de jeux de mots et d’expressions se succédant et portant sur la traduction et la dérive du sens. Avec humour ou même avec un brin d’ironie, ces artistes rendent hommage à la langue française et insistent sur sa présence sur le Web. Ils rejoignent, en cela, d’autres artistes qui s’interrogent sur la diffusion du texte dans une langue autre que l’anglais, langue qui domine actuellement le réseau.

D’une façon générale, le texte accompagne l’image dans plusieurs projets et renforce les effets narratif et séquentiel permis par le médium. Par exemple, Chagrins d’Élène Tremblay raconte une histoire dramatique qui se scinde en deux, aménageant ainsi deux chemins possibles, deux versions qui se rencontrent. Élène Tremblay a d’ailleurs mis sur pied l’exposition virtuelle Arborescences qui fait état des nouvelles avenues offertes à la photographie par l’Internet. Le titre même de l’événement souligne l’idée de parcours multiples potentiels, de nouvelles structures narratives rendues possibles par l’Internet. Dans le même ordre d’idée, Carol Dallaire rassemble des projets comportant des images numériques et des textes dans Les lieux communs, un ensemble d’albums mettant en scène des personnages fictifs présentés sous un mode intime. Dans Intersections-
conjonctions
, Karen Trask offre un récit autobiographique, qui traite, lui aussi, de l’identité. The Love Money Weather Project de Petra Mueller prend la forme d’un journal intime où les conditions météorologiques transforment qualitativement les affirmations qui les accompagnent. Dans un tout autre ton, Liquidation réalisée par l’écrivain Michel Lefebvre et la photographe Eva Quintas fonctionne à la manière d’un photoroman humoristique. Cette fiction a également été diffusée à la radio et il est possible d’écouter les épisodes en différé. La présentation du prototype de la version CD-Rom du projet a eu lieu à la Galerie Skol le 1er mai 1998.

Le site du Studio XX accueille de très nombreux projets Web réalisés par des femmes dans sa section Night Light et dans celle du festival Maid in Cyberspace. Certaines oeuvres s’intéressent précisément au rapport que les femmes entretiennent avec la technologie. La plupart de ces artistes bénéficient du support du centre et produisent, en fait, des oeuvres très variées. Encore là, plusieurs oeuvres s’organisent par le texte et l’image. Certaines thématiques insistantes peuvent être remarquées. Par exemple, l’échange prend beaucoup d’importance dans le projet de Jeannette Lambert et Raquel Rivera Emerging from Erasure ou celui de Jessica R. Carpenter, Jennifer. Cette thématique définit l’aspect formel des oeuvres et met en évidence ce rapport de personne à personne caractéristique du médium.

Parmi les projets de Catherine McGovern, coordonnatrice à la programmation du Studio XX, Once in explore les frontières de l’espace à l’aide de photographies et de textes en nous transportant dans divers paysages et lieux étrangers. Plusieurs oeuvres s’apparentent à cette approche du médium. Elles s’intéressent plus particulièrement à la définition et à l’appréhension d’un nouvel espace, au cyberespace, et l’évoquent de façon métaphorique par le voyage, par exemple. Celui de Leah Lazariuk, Virtual Squat interroge également ce nouvel espace de façon totalement différente, en proposant au visiteur de le concevoir comme un espace alternatif et d’agir en nomade. Le projet Amazone de Pascale Trudel constitue un autre excellent exemple, en intégrant des images animées et du son. Le site de Daniel Villeneuve montre une succession d’espaces qui transpose une installation présentée au Musée d’art contemporain en 1997.

En empruntant lui-aussi la forme d’un voyage, Lune Noire de Jean-Pierre Thomin, est une version Web d’un projet qui interroge les frontières de l’espace et du temps en faisant référence au train, un autre moyen de transport, plus ancien. La Borne interactive (100% carton) de Yann Sérandour, est la version cybernétique d’un projet présenté dans le cadre d’une récente manifestation à Rennes. L’oeuvre crée des rapprochement entre les objets physiques envoyés par la poste et des images d’objets insolites transmis par courrier électronique. Quant à Restau U Dijon de Michèle Waquant, il propose également une version Web d’une exposition. La multiplication progressive d’une photographie, réalise une nouvelle mosaïque qui l’identifie à la fragmentation de l’image digitale et donc à l’espace de l’écran. L’oeuvre d’Isabelle Hayeur, Si/jamais constitue également une exploration de l’espace par l’utilisation du paysage.

Enfin, d’autres projets misent essentiellement sur l’interactivité, sur un échange actif avec le visiteur. C’est le cas d’une oeuvre de Greg Garvey, The Automatic Confession Machine que nous avions déjà commentée dans une édition antérieure. Le même artiste propose un autre projet de même nature, Gender Bender qui fonctionne comme un test de la personnalité révélant la part masculine et/ou féminine du visiteur. Dreamed* de Frédérick Belzile invite les internautes à partager leurs rêves. Dans le même ordre d’idées, Pascale Malaterre propose aux visiteurs de concevoir leur propre *Ex-voto et de voir ceux qu’ont transmis d’autres participants. Quant au site Doyon/Demers réalisé par Hélène Doyon et Jean-Pierre Demers, des artistes qui proviennent de la performance, il permet au visiteur de construire des objets à partir de modèles offerts sur le site et prêts à l’emploi, entre autres. Le projet Eugénie* de Julie Méalin, Valérie Jodoin et Éric Mattson se veut un Laboratoire Virtuel d'Insémination qui permet de concevoir une descendance virtuelle avec des personnalités de divers milieux artistiques et politiques.

Comme partout dans le monde, de plus en plus d’artistes du Québec se tournent vers l’Internet. Plusieurs des artistes qui s’intéressent à ce médium sont souvent déjà connus pour d’autres types de productions. Ils proviennent de disciplines comme la photographie, la vidéo ou d’autres domaines impliquant les technologies de l’image. D’autres encore ont exploité de multiples registres dans leurs travaux antérieurs en faisant intervenir l’image et le son à l’intérieur d’installations ou de performances. D’une manière générale, ces pratiques se caractérisent par le déploiement de l’oeuvre dans le temps. En quelque sorte, ces artistes se dirigent vers l’Internet parce que leur sensibilité les y portent naturellement. Ils trouvent dans ce médium de nouvelles possibilités leur permettant de prolonger leur réflexion, leur recherche artistique, et outrepasser les frontières de leurs disciplines.

Sylvie Parent

*Ces oeuvres sont présentées plus longuement dans la section Oeuvres électroniques de la présente édition du Magazine électronique.



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