LA SÉLECTION DE LA CINQUIÈME ÉDITION

Nous avons sélectionné dix œuvres conçues pour le Web qui ont retenu notre attention.


David Bickerstaff
Ubiquity
1997
Ce projet crée un parallèle entre l’expérience du cyberespace et celle de l’immigrant. Le visiteur paraît franchir une frontière pour se trouver devant des choix dont il ne comprend ni le sens ni l’ampleur. Un numéro d’entrée lui est assigné et, une fois admis à l’intérieur de cet espace, il accède à un territoire nouveau. Les codes obscurs qui lui sont proposés, la superposition et le mouvement rapide des images ont tôt fait de provoquer la confusion et rendre cet environnement hostile. Après l’avoir parcouru un certain temps, le visiteur aura apprivoisé cet espace qui n’en est pas un en soi mais qui s’apparente à l’espace mental. (Ruskin School of Drawing and Fine Art, Channel)

Matthijs de Bruijne
Analysis of an Unidentified Object
1997
Le point de départ de ce projet interactif est l’image d’un objet insolite suffisamment évocateur pour déclencher l’imagination et le système de références des visiteurs. Comme s’il cherchait lui-même à le comprendre, l’artiste le soumet au regard et à la sensibilité de chacun. En fait, cet objet vaguement mystérieux sert de prétexte d’échange avec les autres et permet de valoriser l’imaginaire individuel. Le plus souvent traité avec humour et poésie, il donne lieu à différentes interprétations révélant une part de l’univers de chaque participant. L’oeuvre fait aussi allusion au potentiel de création et de transformation d’images que les nouvelles technologies rendent possibles. Face aux développements rapides et au sentiment de perte d’emprise qu’elles peuvent susciter, l’artiste mise plutôt sur les aspects positifs de leurs possibilités en engageant les visiteurs dans un processus d’échange, de création et d’action sur ce monde. (code)

Frédérick Belzile
Dreamed
1996
Parce qu’il accueille les rêves tels qui lui sont transmis, sans censure, ce projet permet une fascinante incursion dans la vie intérieure, non pas d’une personne en particulier, mais de ce qu’on pourrait nommer l’inconscient collectif. En effet, un ensemble de rêves pouvant être lus, selon un ordre chronologique ou par mot-clé donné par chaque participant, construit une suite de récits personnels et intimes qui finissent par ne plus appartenir à personne. Étrangement, au fur et à mesure de la lecture, une certaine parenté entre les descriptions s’installe. D’ailleurs, certains rêves sont reliés entre eux par des mots qu’ils partagent et qui deviennent ainsi chargés d’une importance et d’un sens distinctifs. Le projet, par son potentiel infini, pour ce qu’il fait ressentir et parce qu’il réunit les gens entre eux, finit par surprendre par sa poésie.

Reynald Drouhin
Alter-native
1997
Cette oeuvre repose sur de brèves animations que le visiteur peut manipuler à volonté. Elle met en scène un homme et une femme qui se font face au-dessus de quatre petites images floues. C’est en déplaçant le curseur sur ces images que le couple s’anime sur l’écran. Les deux individus se rapprochent alors, soit en criant ou en se souriant, ce qui donne lieu à un petit théâtre pouvant faire penser à une scène de ménage ou à une réconciliation, par exemple. Ces manipulations simples, sélectionnées et multipliées selon le désir du spectateur lui donnent l’impression d’agir sur l’univers de l’autre. Toutefois, les possibilités réduites de ces échanges et le caractère stéréotypé des expressions lui font rapidement saisir les limites de son pouvoir. Ce projet met en évidence le désir d’échange caractérisant l’utilisation de l’Internet de même que les limites de ce type de communication avec les autres. (École nationale des Beaux-Arts de Paris et Rhizome)

Nicolas Frespech
Je suis ton ami(e)... tu peux me dire tes secrets
1997
Des messages courts défilent sur ce site, ils se précipitent plusieurs à la fois sur l’écran et disparaissent aussitôt pour faire place à d’autres, à un rythme parfois très rapide. Ce sont des secrets faits de désirs inavouables, des aveux concernant des expériences passées honteuses ou scandaleuses. Au début, ils suscitent la curiosité mais rapidement, ils s’accumulent dans l’esprit et laissent perplexes, créant progressivement un sentiment d’inconfort. Cette incursion répétée dans l’intimité des individus produit une sorte de saturation et ces secrets finissent par ressembler aux gros titres de journaux à sensation. En cela, l’oeuvre souligne le caractère parfois artificiel de l’accessibilité à l’univers intime des usagers sur l’Internet. (FRAC Languedoc-Roussillon, CICV)

Pierre Giner
(ça dure un peu)
1998
Dans ce projet, l’artiste propose d’allumer une cigarette, une invitation qui paraît amusante et inoffensive sur le Web, tant l’usage réel du tabac est associé à une réglementation restrictive et à de nombreux dangers pour la santé. C’est donc avec un certain plaisir d’exercer librement une activité «défendue» que le visiteur s’engage dans cette oeuvre. Or, tandis que chaque cigarette offerte se consume, un narrateur racconte une histoire brève sur un fond sonore sinistre. Les anecdotes concernent des morts tragiques, sordides ou étranges si bien qu’une fascination un peu malsaine s’installe avec la consommation créant un parallèle intéressant avec l’accoutumance typique liée à l’usage du tabac. Fumer une cigarette suppose également un certain rapport au temps, non seulement à cause des «maladies mortelles» que cela supposerait, mais parce que l’activité même donne une mesure au temps. Bien entendu, le trouble grandit à mesure que le visiteur écoute les histoires mais, c’est également une conscience du temps qui passe, qui fuit et se consume lui aussi, que l’oeuvre réveille. (La Chambre blanche et Icono) (nécessite Shockwave)

Garnet Hertz
The Simulator
1997
L’artiste propose ici d’effectuer les gestes associés au déroulement d’une journée typique. Des choix sont offerts au participant, du moment de se lever à celui du coucher. Le projet tente ainsi de traduire les activités routinières de la vie sur l’Internet. Rapidement, l’écart entre l’existence physique et la simulation se fait sentir parce que la correspondance avec le temps et l’expérience réels de ces actions ne s’accomplit pas. Ce projet questionne le potentiel des technologies, comme celles de la réalité virtuelle, d’offrir une véritable simulation du réel. De plus, parce que les choix n’offrent que peu d’intérêt et de liberté, ils font référence aux contenus stéréotypés et souvent ennuyeux qu’elles proposent. Qui plus est, l’oeuvre fait ressortir, avec beaucoup d’humour, le caractère oppressant du quotidien lorsqu’il se réduit à des actions répétitives. (conceptlab)

Pascale Malaterre
Ex-Voto
1996
À la manière d’autres oeuvres interactives, ce site est composé d’une partie rendant possible la participation active du visiteur et la consultation des messages transmis par d’autres. De plus, il comporte un musée, une section de référence, une sorte de base de données visuelles comme le permet l’Internet. Le projet est fondé sur la notion de l’ex-voto, une tradition historique et populaire qui consiste à rendre public un remerciement. Les témoignages laissés dans la chaîne, souvent très émouvants, font état de liens importants entre les individus et établissent ainsi un véritable rapport avec le visiteur, concerné par ces messages. Le musée, comme une galerie virtuelle, montre des ex-votos appartenant à diverses époques et cultures, exprimant ainsi l’aspect universel de l’ex-voto et des actes qu’il suppose. Là encore, les illustrations naïves, les figurines qui y sont rassemblées ont à voir avec une croyance religieuse ou païenne qui contribue à émouvoir. (CICV)

Julie Méalin, Valérie Jodoin et Éric Mattson
Eugénie, Laboratoire Virtuel d'Insémination
1998
S’inspirant de l’eugénique d’où il emprunte son titre, cette science de la génétique qui tente d’améliorer l’espèce humaine, Eugénie offre la possibilité de procréer de façon virtuelle. Une banque d’une quinzaine de donneurs, des célébrités de domaines divers, a été constituée en tenant compte de leurs qualités spermiques! Toutes les audaces sont permises, le choix du donneur, le nom de la mère et de l’enfant. Il est possible de visiter son enfant à la pouponnière, de consulter les arbres généalogiques des donneurs et de connaître les soeurs et frères de nos créatures ainsi que les autres mères. Des études démographiques, des statistiques sont également offertes. Ce projet aborde la question épineuse des manipulations génétiques sous un angle fantaisiste. Avec humour, il fait ressortir l’aspect absurde de telles manipulations et leur accorde un espace purement virtuel, destiné uniquement à l’imagination. (centre culturel canadien, SAT)

John F. Simon Jr.
Every Icon 1997
Soit une grille constituée de 32 carrés de largeur et de hauteur, et la possibilité que chacun de ces éléments soit noir ou blanc, alors il devient concevable d’y réaliser toutes les images. Tel est le présupposé de l’artiste qui a mis sur pied ce projet. Selon un système binaire pareil à celui sur lequel est fondé la technologie informatique, toutes les possibilités sont ainsi présentées sur une grille qui se transforme sous nos yeux. En pratique, il faudrait plus d’un an pour voir apparaître toutes les variations potentielles se produire sur une seule ligne à un rythme normal de 100 icones par seconde ! Ce projet démesuré exprime une certaine ambition des nouvelles technologies de surpasser la création humaine. Toutefois, le succès très relatif de cet exercice dans la pratique met en évidence les limites de ces technologies. Le véritable intérêt du projet réside ainsi dans sa forme conceptuelle, du côté de son auteur. (Stadium)

Sylvie Parent



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