DES ENTREVUES AVEC:

Jocelyne Alloucherie | Asta Gröting | Pascale Malaterre |

 

JOCELYNE ALLOUCHERIE

Entrevue menée par l'équipe de guides animateurs du CIAC en août 1998.

Question: Pourriez-vous nous parler de votre présentation à La Biennale de Montréal 1998?

Jocelyne Alloucherie: Elle s’inscrit dans la continuité du travail antérieur; elle en diffère aussi. Mon oeuvre explore depuis longtemps un rapport image-objet-lieu défini sur des bases anthropologiques; l’architecture intime, le mobilier, le monument. Tous mes objets sont élaborés d’après ces paramètres; leurs dimensions et proportions en témoignent. Cela étonne toujours une certain faction de la critique qui n’arrive pas à lire les oeuvres autrement qu’à travers une grille historique fermée; et pour qui une ligne droite équivaut au formalisme, les courbes sont nécessairement baroques et le mobilier quotidien a inévitablement la forme d’une chaise... C’est plutôt cette lecture qui est formalisante. Cette oeuvre particulière, donc, réfère plus fortement à l’architecture; à l’architecture urbaine, mais aussi à une conscience intime de l’architecture. Et au nomadisme.

Q: Mais de quelle façon?

JA: Là encore on fait souvent une lecture littérale et réductrice. Les mobil homes que l’on invente pour les sans abri sont absurdes: de jolies petites tentes et des chariots à recouvrir d’une bâche... Le nomade des villes craint moins la pluie, le vent et le froid que l’autre. Il cherche d’abord une muraille contre laquelle s’adosser et qui lui aménage une ouverture. Cette masse, au coeur de White Hole, c’est un abri, une muraille, une table (ses plateaux horizontaux) un puits, un point de réappropriation, de repli sur soi.

Q: Comment déterminez-vous les proportions?

JA: Selon une exploration et des sensations très physiques, sensiblement. Au départ, je donne des balises conceptuelles mais je ne fais pas de dessin mathématiques ou de plan. Je travaille avec de grandes boîtes précaires en carton qui s’agrandissent et se réduisent pendant des mois souvent jusqu’à la configuration finale.

Q: On associe souvent votre travail à l’art minimal. Qu’en pensez-vous?

JA: Comme je viens de le dire, mon travail n’a rien à voir avec le minimalisme. Je dois épurer les éléments par souci de clarté. Ainsi, si je conserve tous les détails d’un objet associant une table, un abri, un puits, une muraille, j’obtiens une grappe ou une colonne de vieux objets, ou d’images. Je serais tout à fait à côté de ce que je cherche. Cette confusion vient encore d’une mauvaise lecture de mon travail; celle qui cherche d’abord la filiation historique. L’art minimal ne cherchait pas à concentrer des niveaux de référence dans l’objet mais à les éliminer. Je me rapprocherais plutôt de la danse contemporaine. Il faut danser avec mes oeuvres pour bien les saisir; renouer avec une connaissance très première du corps: le poids, le centre, la verticalité, la mobilité.

Q: Parlez-nous de l’image photographique?

JA: Cette frise est une architecture métaphorique; la ville occidentale en général; substrat de toutes les villes d’occident; une forteresse. Les photographies proviennent de divers lieux. Ce sont des images saisies rapidement, à la tombée du jour: ce moment où les contrejours sont excessifs. Il en résulte une "méprise" du regard. Les photographies suggèrent de vagues images de monuments d’histoire et de pouvoir. Souvent, ce ne sont que des façades de maisons... Ces images doivent être trouvées, prélevées du réel. Si je les construisais; je donnerais une fiction; ma fiction, le caractère mythique très général évoqué par ces images dépend de leur rapport serré au réel. Cela peut sembler paradoxal; il y a un paradoxe dans cette saisie rapide et légère des photographies (des instantanés au sens premier) et le temps d’élaboration de l’oeuvre de même que le temps de lecture qu’elle exige idéalement...

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Jocelyne Alloucherie | Asta Gröting | Pascale Malaterre

 

ASTA GRÖTING

Jean-François Frappier: Dans votre production Eis, qui signifie Glace, comment avez vous procédé dans le choix et l’organisation des différentes scènes? Y a-t-il une importance dans l’ordre de celles-ci?

Asta Gröting: Avec Eis, j’ai tenté d’illustrer différentes situations psychologiques. L’ours Gonzo (incidemment du Canada) est montré dans la première scène parce qu’il accomplit l’acte le plus essentiel, se nourrir. J’aimais aussi les contrastes qu’il permettait entre le noir et blanc et entre le chaud et le froid. L’ours fait ce qu’il préfère, il mange le miel et il est tout à fait égoiste dans cette action. Il tuerait quiconque voudrait le déranger. J’ai montré un ours dans le même esprit qu’un enfant veut avoir son ourson. Dans la scène suivante, un homme trace le mot WIE (comment) dans la glace de la patinoire. Ce mot devient visible après un certain moment. Il continue sa performance tandis que les autres acteurs se produisent. Il est alors question de la manière dont on fait les choses, leur visibilité. L’image qui suit est une image sociale. Un patineur tombe alors qu’un autre l’aide à se tenir droit. Puis celui qui l’aide tombe lui aussi et reçoit l’aide de l’homme qui a obtenu de l’aide précédemment (en fait, un de ces deux hommes est acrobate et l’autre, champion aux patins à roulettes). L’autre scène montre une femme qui tient deux miroirs dans chacune de ses mains lui permettant de regarder à l’arrière. Puis la cage et le nid qui apparaissent dans les scènes suivantes représentent deux versions différentes d’un domicile. La femme qui fait des pirouettes (la vedette du spectacle, elle est championne du monde dans ce genre) tourne autour d’elle-même et réalisent différentes figures, produisant ainsi diverses sculptures d’elle-même. Elle représente le narcissisme. Enfin, la dernière image montre un amateur qui danse et ne chante des airs que pour lui-même. Des microphones sous ses patins amplifient le sons. Il n’y a rien à dire sur l’ordre des scène en tant que tel. J’ai simplement tenté de les montrer les unes après les autres dans l’ordre qui me semblait le plus juste.

JFF: Je voudrais revenir sur la présence de la cage et du nid. Deviennent-ils des personnages au même titre que les individus qui performent dans les scènes?

AG: Mon idée était de présenter deux différentes versions de la maison, du domicile et je cherchais à voir comment un patineur pouvait pousser sa propre maison devant lui dans ce grand espace. Et puis, cela me satisfait de constater que mon travail reste suffisamment ouvert à l’interprétation des autres, que l’on puisse y apporter le sens que l’on voudra bien.

JFF: Pourquoi avoir choisi une patinoire pour aborder ces situations psychologiques?

AG: Je voulais réaliser une oeuvre qui traiterait de l’équilibre intérieur et extérieur et je trouvais que la patinoire, par son étendue et sa nature réfléchissante et glissante me permettait de le faire.

JFF: La patinoire ne devient-elle pas comme un microcosme, un univers en soi où la réalité humaine pourrait être dépeinte? Il me semble également voir une certain rapport avec les différentes étapes de la vie humaine dans le déroulement des scènes. L’ours avec son besoin primaire pourrait représenter l’enfance et l’homme de la dernière scène, plus vieux, se rapprocherait du monde de la vieillesse. Tous les individus décriraient, à leur manière, leur rapport à l’autre, une certaine façon d’être en société, de se définir dans le monde. Qu’en pensez-vous?

AG: Cette interprétation est valable pour vous. Mais j’essaie de ne pas charger mon travail avec trop de sens. Je ne veux pas le restreindre à certaines interprétations. Un ours noir sur la glace blance devrait toujours, en premier lieu, fonctionner comme une image ou une sculpture qui doit être vue. Je ne veux pas en limiter le sens ni la justifier par un contenu particulier. Elle est ce qu’elle est. La raison première pour laquelle je fais un travail est parce que je veux le voir, je veux voir cette image.

JFF: Vos scènes captivent l’attention d’une façon particulière, en utilisant de longs plans, sans beaucoup de coupures au montage. Comment décrivez-vous votre rapport à la lenteur?

AG: Je préfère faire le montage en coupant le moins possible parce que cela me rend nerveuse lorsque je vois des films comportant plusieurs coupures. Je préfère la concentration et la tranquilité et même une sorte d’ennui d’un film aux longs plans.

JFF: Comment êtes-vous passée de la sculpture à la vidéo?

AG: Il y a quelques années, la vie quotidienne de sculpteure, seule ou avec un assistant, m’est apparue très ennuyeuse et même parfois, sans vie. J’ai alors voulu travailler avec d’autres personnes, d’autres artistes. C’est à ce moment-là, en 1993, que j’ai commencé mon projet The Inner Voice. J’ai voulu réaliser une oeuvre qui traiterait de cette voix intérieure, de cet organe intérieur et j’ai trouvé que le ventriloque pouvait agir comme un équivalent. J’ai alors décidé d’essayer la vidéo comme médium parce que je pensais que cela demanderait moins d’effort que pour la réalisation des grosses sculptures que je produisais avant. Malheureusement, j’ai compris que la production de la vidéo se révélait parfois plus onéreuse.

JFF: Pouvez-vous nous parler davantage de ce projet The Inner Voice que vous avez débuté en 1993 et dont vous poursuivez toujours la réalisation? Et en quoi se compare-t-il à Eis?

AG: The Inner Voice est formé de films tournés en vidéo et de performances où on voit un ventriloque parler avec une poupée au sujet de la voix intérieure qui s’adresse à eux. J’écris un script différent pour chaque langue dans laquelle les scènes sont filmées et pour lesquelles j’ai trouvé un ventriloque. La poupée est toujours la même, je l’ai fabriquée en 1993. Le but de ce projet est de le faire dans toutes les langues, avec un ventriloque différent chaque fois, et de les montrer tous ensemble. Jusqu’à maintenant, j’ai fait le film allemand, finnois, italien, français et canadien français. En ce moment, je prépare la version russe. Le lien que j’établis avec Eis est que je travaille en collaboration avec d’autres personnes et qu’un film video en résulte.

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Jocelyne Alloucherie |Asta Gröting | Pascale Malaterre

 

PASCALE MALATERRE

Sylvie Parent: Pourriez-vous situer votre travail sur l'Internet en rapport avec ce que vous avez réalisé auparavant en théâtre, vidéo et performance?

Pascale Malaterre: J'ai étudié très jeune (18 à 21 ans) au Conservatoire d'art dramatique de Montréal. Auparavant, j'avais étudié au Collège Jean-de-Brébeuf, en art plastiques et en sciences politiques. Je faisais partie de la première promotion à l'intérieur de laquelle les filles étaient acceptées dans cette institution. Cela m'a grandement marqué de me faire enseigner par des religieux, l' approche marxiste des rapports internationaux. Le conservatoire d'art dramatique, qui était jumelé au Conservatoire de musique a soutenu mes premières créations en écriture de dramaturgie électroacoustique. A 21 ans, le musée d'art contemporain me demandait de mettre en scène de la poésie contemporaine québécoise, à Paris. Très vite, j'ai été aspirée par par la quête de l'écriture en contre-point des nouvelles technologies. La performance féministe et la réalisation en vidéo m'ont fait explorer la dénégation de la théâtralité au profit de la poésie du geste, dans la quête du sacré, du rituel. Le cadre de la vidéo comme "petit théâtre" dénué de profondeur scénique m'a donné conscience de cette surface, coincée entre le verre de l'écran balayé par les électrons, et la source de lumière , le tube cathodique. Pour me consoler de ce manque de profondeur, j'ai oeuvré en parallèle avec des compositeurs dans l'espace de l'électroacoustique. En ce sens, je suis profondément issue de la fabrication du sens, "faire sens" au contact de l'audio-visuel, de l'électronique, de l'informatique, les traitant comme autant de "corps". Internet est pour moi non pas un nouveau médium, mais un nouvel espace, le cyberespace. J'oeuvre donc maintenant dans le cyber-art, où l'on ne peut nier la présence du lecteur jusque dans l'élaboration sans fin de l'action artistique initiale (la force de proposition de la page d'accueil).

S.P.: Voyez-vous cette nouvelle avenue comme une continuité ou comme une rupture avec le travail antérieur?

P.M.: Une totale continuité car Internet est un plus pour la diffusion vidéo, le web et l'hypermédia (le multimédia) ayant absorbé la problématique-vidéo. "Faire sens" maintenant, nécéssite une conscience de la relation qui existe entre les différentes composantes du multi-média. Pour moi l'écriture du sens se réalise et prend forme en un tracé de boomerang qui circulerait et rebondirait entre le mouvement des différentes factions telles la virtualité fixe ou animée, l'écriture ou le son, le tout en réseau internationalement.

S.P.: Pouvez-vous nous expliquer ce que l'Internet représente dans votre pratique? Quelles possibilités nouvelles ce médium vous offre-t-il?

P.M.: Une grande demande de temps pour réaliser toutes mes propositions artistiques, compensées par un coût de production moindre et la concrétisation de ce que Joseph Beuys prédisait dans l'architecture de l'oeuvre incluant la participation des gens. Le travail sur le web est une continuation de la résistance au totalitarisme de la télévision mais les données sont ironiquement autres : avec la fibre optique, la demande d'oeuvres ayant du sens sera tellement forte que les auteurs ne suffiront plus à la demande.

S.P.: Ce qui me frappe le plus dans votre travail, c'est votre approche totalement positive du médium. Plusieurs artistes qui travaillent sur le Web me semblent adopter une attitude critique ou ironique. Pouvez-vous commenter?

P.M.: Je ne vois pas en quoi Internet est plus totalitariste que les multi-nationales ou la presse. Au contraire, la diffusion grâce aux moteurs de recherche donne une possibilité de visibilité aux plus petits. J'argumentais dernièrement avec une autorité de la Sodec qui était contre la gratuité d'accès aux sites culturels. L'argument très ferme que je donnais était la gratuité d'accès aux galeries d'art. C'est une tradition en Occident rentrée dans les moeurs et la galerie virtuelle doit rester gratuite dans son accès. Quand les auteurs internautes prendront des noms et qu'on voudra en "louer" comme au cinéma, cela sera autre chose. ( Cela ferait d'ailleurs une source de revenus...) à méditer. Cela serait donc intéréssant d'archiver les différentes générations d'un site en ligne. Car, en tant qu'internaute, un site en ligne est vivant sinon, c'est un Cédérom magnifique et fini.

S.P.: Parlez-nous de l'importance du sacré dans votre travail et du choix de l'ex-voto comme motif/moteur de votre oeuvre sur l'Internet?

P.M.: Dans une société matérialiste comme la notre, le rituel, le geste sacré gratuit est subversif en soi. Ex-Voto a été choisi pour sa dimension temporelle : quelque chose qui remonte à la nuit des temps. Sur Internet, je trouvais pertinent de créer un lieu dédié à un geste qui remonte à la nuit des temps. Pour atteindre mon texte charte poétique, il faut cliquer sur le mot solidarité. C'est après cette décision de l'internaute que la notion de sacré apparaît accessible. Ex-voto s'inspire et veut s'inscrire dans la tradition des arts populaires et naïfs. Comme l'essence du Web : populaire. Ex-voto tel qu'on le voit là dans sa forme n'est qu'un début. je travaille actuellement à une forme plus complexe et élaborée qui tienne compte de la complexisation du sens, de l'archivage, et des progrès techniques qui permettent à la sensibilité de rebondir en s'amusant avec du sens qui génèrera de l'émotion.

S.P.: Considérez-vous "l'usure du regard" à laquelle les images des ex-voto pourraient donner lieu?

P.M.: Chaque image qui me marque profondément, que je trouve forte en possibilités de sens et/ou chargée d'émotion se retrouve sur ma page d'accueil et l'illustre. Actuellement, l'image d'une poignée de mains "post-volcanique", qui circule aussi plastifiée comme une carte de visite du site, n'est pas usée dans le souvenir émotif qu'elle génère chez moi. Le jour où elle me semblera banale, alors cette imagevirtuelle sera usée dans le regard porté sur elle par l'auteur et sera renouvelée.

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