OEUVRES ÉLECTRONIQUES no.7


Anne Baker, Dr. Will Clayton, Julian Baker
Scars
1998
Dans son stade actuel, Scars met à la disposition du visiteur un ensemble de cicatrices, classées par types, et des images du corps cartographié. L'oeuvre donne ces moyens au lecteur afin qu'il fournisse son témoignage, par le récit et par l'image, en ce qui concerne sa propre cicatrice. L'objectif de ce projet est de réunir cent histoires de cicatrices formant une même chronique du corps. En complément, des textes d'information médicale sur les différents types de cicatrices, des images d'instruments chirurgicaux impliqués dans les interventions donnent une base scientifique au projet tout en apportant leurs propres images, celles de la science. Tandis que les images de cicatrices et les informations les concernant réveillent des émotions liées à l'expérience de la souffrance, d'autres sections, traitées avec humour, donne un ton déconcertant au projet. En effet, la palette des cicatrices, la schématisation des corps, les sons des cicatrices emportent le projet ailleurs, du côté de l'absurde. L'oeuvre bascule ainsi pour faire sentir l'aspect monstrueux et la curiosité inconvenante qui peuvent caractériser un tel projet. De plus, Scars mise sur des comportements liés au médium : l'échange et la confidence que suscite le courrier électronique, la compilation et le classement opérés par les systèmes informatiques. Ces dernières années, le corps dans tous ses états a été très présent dans l'art contemporain et ce, tout aussi bien sur l'Internet. Scars fait allusion, avec beaucoup d'acuité, aux progrès récents des sciences en génétique et en biotechnologie qui ont fait du corps un objet manipulé, transformé, reconstruit au besoin.
(nécessite Shockwave)
S.P.

 

Pierre Giner
Sentimental phone
1997
Comme l'indique son titre, cette oeuvre met en scène une conversation téléphonique entre deux amants. Elle montre un téléphone portatif muni d'un petit écran sur lequel apparaît un court message ou le gros plan d'un visage, féminin ou masculin, chaque fois qu'une touche est choisie par le visiteur. Des débuts ou des fins de conversation, de courts extraits musicaux, des signaux sonores se font également entendre sur un fond sonore sinistre. Les messages et les fragments de conversation concernent le désir de communiquer sans qu'il puisse jamais s'accomplir. En effet, la ligne occupée, le répondeur, l'appel incessant au toucher, au contact, créent un climat de frustration, d'inquiétude et d'inassouvissement. La machine finit par s'interposer par ses règles, ses limites et sa propre ambition de se substituer au contact réel. Ainsi, le visiteur construit sa propre petite conversation, son petit drame sentimental, fait dire, fait être selon ses propres envies, sans qu'un contact véritable ait lieu. La volonté d'intimité à laquelle l'oeuvre réfère se conclut par une irrésolution de ce désir fondamental.
(Icono, nécessite Shockwave)
S.P.

 

Beverly Hood
Encounter 
1998
Le projet documente la communication quotidienne entre deux personnes qui restent anonymes durant une période de 30 jours. Les conversations d'abord maladroites et impersonnelles concernent les équipements et problèmes informatiques, le courrier électronique puis le projet lui-même et son contexte. Peu à peu, une intimité s'établit entre les deux individus. Ils font part de leurs activités quotidiennes, de leurs réflexions sur des sujets divers, de leur histoire personnelle. Les images réalisées durant les conversations en CU-See Me montrent des gros plans d'ordinateurs, des points de vue dans l'espace de travail, des objets familiers tout en préservant l'anonymat des deux intervenants. Chaque semaine, la conversation s'ouvre à un groupe de discussion. À la fin du projet, un repas est organisé entre les deux individus et des invités. L'événement était diffusé sur le réseau Internet, avec un public invité à distance à participer. Ce projet permet de jeter un regard fascinant sur l'évolution des relations entre les personnes qui communiquent par courrier électronique. Il permet d'assister à cette ouverture progressive à l'autre et prendre part à l'aspect événementiel de la rencontre qui clôt le projet. Réalisé pendant une résidence d'artiste organisée par Furnace, Encounter faisait partie des oeuvres présentées lors de l'événement Maid in Cyberspace-Encore! organisé par Studio XX.
(Furnace, Elevator)
S.P.

 

Brighid Lowe
Now Here/Nowhere
1998
Il s'agit d'une première œuvre de cette artiste pour le Web. Now Here/Nowhere se démarque par sa simplicité et son élégance. Constituée uniquement de texte, elle commence par un jeu de mots (en anglais) où «ici» et «maintenant» écrits ensemble forment «nulle part» (now here / nowhere). L'œuvre traite de la frustration liée à la navigation sur le Net et pour cette raison, elle serait, peut-être encore mieux appréciée si on y allait après une session insatisfaisante. Elle agirait alors comme un repos rafraîchissant par son humour et par sa poésie. Œuvre autoréférentielle, elle traite également du statut du texte sur l'écran. L'artiste parle au nom des mots, elle examine la sensualité du transfert des mots du papier vers l'écran. Lowe utilise judicieusement le médium et crée un poème où le rythme d'apparition, de mouvement et d'arrêt des mots constitue sa calligraphie spécifique. Now Here/Nowhere est présentée dans le cadre du projet C-ship produit par e-2 du Royaume-Uni, conjointement avec nmp et DNP du Japon.
(C-ship, e-2, nmp, DNP, nécessite Shockwave Flash)
A.L.

 

Kristin Lucas
Between a Rock and a Hard Drive
1998
Cette oeuvre comporte un ensemble de tableaux constitués d'images de lieux d'attente et de transition, des espaces anonymes et dépourvus d'intérêt en soi : vestibules, aires de stationnement, salles d'attente. Ces images prennent place au centre de claviers remaniés et interactifs. Grâce à ces claviers, le visiteur peut déclencher des dialogues entre les objets inanimés de l'image, devenus pareils à des personnages de bandes dessinés, ou alors produire des sons étranges. Les conversations banales et stéréotypées, les sons insignifiants générés par cette interactivité s'accumulent, de tableau en tableau, et finissent par provoquer une insatisfaction grandissante. L'oeuvre renvoie à l'environnement du réseau Internet, parfois sans relief et décevant. Elle fait également allusion à l'expérience de la navigation, à l'attente et à la frustration qui la caractérisent. L'interactivité que l'Internet permet s'avère ici souvent inutile devant l'abondance des contenus et leur impertinence. De plus, les possibilités d'échange (courrier électronique, groupes de discussion) auxquelles l'oeuvre fait aussi référence donnent lieu dans plusieurs cas à l'expression de contenus familiers, redondants et inintéressants. Between a Rock and a Hard Drive pose ainsi un regard critique et amusé sur l'espace de communication qu'est l'Internet.
(Dia Center for the Arts, nécessite Shockwave Flash)
S.P.

 

Mark Napier
The shredder
Ce projet invite à déchiqueter une page Web de son choix en soumettant une adresse Internet pour voir la page attendue sous un autre aspect, à la fois détruite et reconstruite. The Shredder agit en superposant des fragments de la source des pages Web en langage html et des portions de ces mêmes pages qui deviennent les matériaux de ces nouveaux collages. Ce qui était organisé et séparé fait soudain place à l'anarchie. L'oeuvre met en évidence les possibilités d'appropriation (couper, copier, coller) et de manipulation que permettent les outils informatiques et l'accès à un matériel abondant, disponible et ouvert (la source) à tous. Elle s'inscrit dans la lignée des nombreuses oeuvres d'art, à l'intérieur comme à l'extérieur du réseau, qui font l'emprunt d'images réalisées par d'autres. The Shredder est aussi une oeuvre de participation et de création qui laisse une part à l'imprévisible. Ce projet permet également de s'adonner librement à une forme d'agressivité face à la quantité de contenus sur le réseau Internet. D'ailleurs, un autre projet de l'artiste, Digital Landfill, invite à se débarasser de pages Web devenues trop encombrantes.
(nécessite Netscape 4.0)
S.P.

 

Simon Pope, Colin Green, Matthew Fuller
I/O/D The Web Stalker
1997
The Web Stalker n'est rien de moins qu'un fureteur offrant une alternative à ceux utilisés couramment. Ce projet surprenant jette un regard analytique et critique sur l'expérience de voir les pages Web et l'information disponible sur le réseau. The Web Stalker permet d'atteindre une adresse URL (crawler) et de la voir sous un nouveau jour. Le fureteur donne accès à la structure qu'il visualise (map) soutire le texte (extract) et permet de le sauvegarder (stash), entre autre. Il laisse à l'internaute le soin de définir lui-même les différentes fonctions qu'il juge importantes pour sa visite. Les menus apparaissent au besoin, rien d'inutile ne s'interpose jamais dans l'activité de reconnaissance d'un site Web. Ce qui frappe, à première vue, c'est le dépouillement dans lequel le visiteur se trouve soudainement. L'écran vide que The Web Stalker propose, en début de parcours, peut laisser perplexe et même décevoir. Pourtant, il fait immédiatement sentir jusqu'à quel point les fureteurs traditionnels et la façon de voir les pages Web reposent sur une quantité d'informations visuelles qui détournent du contenu et de la structure véritable de ces pages. Il nous met face à nos attentes, à nos comportements d'utilisateurs et à la façon dont notre activité est encadrée et façonnée par les plus importants fureteurs (Explorer, Netscape). Certainement, le talent et l'expertise nécessaire à la réalisation d'en tel projet n'est pas à la portée de tous. On ne peut toutefois le considérer simplement comme un autre fureteur, l'identifier à un outil comme les autres. The Web Stalker ferait plutôt partie de ces oeuvres d'art qui réfléchissent sur le médium, d'une façon plus restrictive et directe. Le regard décapant et critique qu'il pose, le refus d'adhérer simplement à ce qui existe déjà et sa capacité d'invention le rangent parmi les projets d'artistes les plus remarquables sur l'Internet.
(Backspace)
S.P.

 

Melinda Rackham
Line
1997
Le site de Melinda Rackmam trace une ligne entre l'espace virtuel et l'espace physique. Le visiteur navigue sur le site en étant témoin d'une relation entre deux personnes localisées physiquement à Tokyo et à Sydney. Leurs correspondances, ainsi que leurs images, deviennent une propriété publique et leurs fantasmes, une réalité. En suivant la ligne, le visiteur pénètre dans l'univers mental de ces personnes. De plus, plusieurs liens cachés sont accessibles en baladant le curseur sur les pages. En sélectionnant mail, seize messages peuvent être lus. Il est également possible de répondre aux messages. La navigation sur le site se fait agréablement. En effet, une carte du site permet de se repérer facilement. L'internaute peut visiter une galerie virtuelle où des photographies, des installations et des images de paysages reconstituent des fragments de la localité et de l'identité des sujets. Line fait réfléchir sur la notion de vie privée sur le Net ainsi que sur l'identité humaine dans un espace virtuel.
(nécessite Nescape 3.0)
M.T.

 

Alexei Shulgin
Desktop is
1997-98
Avec Desktop is, Alexei Shulgin a initié un des projets d'artistes les plus brillants qu'il soit donné de voir sur le réseau. À la fois une collection, une exposition, et une oeuvre participative, Desktop is prend en considération de façon admirable, plusieurs aspects liés à à la communication sur Internet. Le projet regroupe plus de 80 images de «bureaux» (desktops) sauvegardées par les utilisateurs et envoyées à l'artiste. Or, la grande diversité de ces bureaux et leur fantaisie (plusieurs ont été créées spécifiquement pour le projet) nous met devant certaines évidences comme les différences individuelles et le potentiel de création de ce support technologique. Chaque bureau apparaît soudain comme un espace personnel et privé, une surface révélatrice de l'utilisateur, donnant l'impression de nous livrer ici à un certain voyeurisme. En effet, la tentation de cliquer sur des icônes, d'ouvrir des fichiers se présentent plus d'une fois mais ne peut se réaliser, faisant sentir les limites de cette incursion dans l'univers de l'autre sur le réseau. Dans ce sens, Desktop is met également en évidence le caractère intime de ce médium. Plusieurs artistes majeurs se sont livrés à l'exercice et leur bureau est une création en soi, par exemple ceux de Garnet Hertz, Rachel Baker, Heath Bunting, Natalie Bookchin et Alexei Shulgin lui-même, montrent une compréhension fine des enjeux de cette invitation. L'artiste-conservateur se plaît lui-même à définir ce que signifie le bureau : « une fenêtre sur le monde digital, une réflexion de son individualité, un environnement visuel quotidien, le visage de son ordinateur, son propre chef-d'oeuvre, son psychanaliste, une membrane médiatrice », et beaucoup plus. Pour toutes ces raisons, cette oeuvre peut être considérée comme un grand classique, une oeuvre d'une perspicacité exceptionnelle.
S.P.

 

Nell Tenhaaf
Neonudism
1997
Neonudism joue d'abord avec la curiosité ou le malaise, c'est selon, que le visiteur pourra ressentir devant cette oeuvre offrant un ensemble de courts vidéos dont les titres laissent imaginer des scènes sexuelles. Peu à peu, la petite séance de voyeurisme attendue se transforme en enquête sur les comportements sexuels à distance que les CU-SeeMe permettent sur le réseau Internet. Des images imprécises d'une femme qui théorise sur ces comportements à l'aide des textes de Nietzsche, Bataille et Irigaray remplacent celles de corps engagés dans des actes sexuels. Ces textes récités ne sont d'ailleurs pas sans causer un certain trouble et provoquent eux aussi la curiosité. Cette présentation agit comme remplacement à la scène sexuelle, et fait sentir la volonté de distanciation, de substitution, et d’union avec la machine. Elle transforme le désir d’intimité en autre chose, en un regard sur soi, qui prendrait la forme d’une extension de soi-même, d’une personnification dans la représentation. En complément, l'oeuvre présente, tout de même, quelques images produites lors de séances de CU-SeeMe. Ces petites images floues soulèvent la question de la réalité et de l'irréalité, du contact et de l'intimité médiatisés.
(nécessite Vivo Active player)
S.P.

 

Commentaires rédigés par Aglika Likova, Sylvie Parent et Magalie Tremblay

 

 



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