Miyajima Tatsuo, 1997

Du 5 décembre 1996 au 26 janvier 1997

 

Miyajima Tatsuo est né à Tokyo en 1957. Il est diplômé de l’Université nationale des beaux-arts et de musique de Tokyo, où il a terminé des études de premier et deuxième cycles, respectivement en 1984 et 1986. Miyajima Tatsuo entame sa carrière d’artiste au début des années 1980, en donnant des performances dans les rues de Tokyo. Par la suite, il travaille un temps avec des objets trouvés. Il fouille les dépotoirs pour récupérer de la «technologie morte» — des téleviseurs brisés, des baladeurs et d’autres objets ayant encore suffisamment de souffle pour remuer, clignoter et émettre des sons, de façon à ce qu’ils puissent communiquer entre eux.

 

Les premières expositions — personnelles et collectives — de Miyajima Tatsuo remontent à 1983. Elles ont eu lieu à Tokyo. Sa participation, en 1988, à l’exposition Aperto de la Biennale di Venezia, lui a valu une solide reconnaissance. Depuis, il expose régulièrement sur la scène internationale.

 

 

Miyajima Tatsuo par lui-même

 

«Dans mon travail, je tente de reprendre — de m’approprier les grands thèmes de prédilection de l’art japonais et de leur donner une nouvelle expression en utilisant les médias contemporains.»

 

«On peut utiliser la technologie pour créer les mêmes émotions, évocations ou sentiments que l’on retrouve dans d’autres formes d’art.»

 

«Le nombre zéro ne se retrouve pas dans mes pièces car je n’ai pas exprimé les plus grands changements dans la vie de l’homme: la naissance et la mort… Le «0» est le lieu où existent toutes les possiblités de la création. On peut affirmer que «0» existe; on peut aussi bien dire qu’il n’existe pas. Dans la philosophie bouddhiste, ceci s’appelle le kû.»

 

«Pour moi, les gadgets (les compteurs digitaux) sont un langage, une sorte de B.A.B.A.»

 

«Tout est en fluctuation» (Héraclite). «Tout est en processus» (philosophie boudhiste). Mes gadgets évoquent la transformation de la création (l’existence, la vie), rien n’est immuable (tout se transforme). On peut donc voir un gadget comme un élément, par exemple un rythme; un mot; une molécule; une ville; un son; une étoile; une personne, etc..»

 

«Plusieurs gadgets unis ensemble constituent un groupe. De par leur influence mutuelle, ils arrivent graduellement à symboliser autre chose. Ainsi, un groupe de rythmes se transforme en temps; un groupe de molécules, en matière; un groupe de notes de musique, en mélodie; un groupe d’étoiles, en Voie Lactée; un groupe de villes, en métropole; un groupe de personnes, en communauté, etc…»

 

«Il est important que chaque gadget possède son propre rythme; sinon le dialogue, I’harmonie et la structure deviennent monotones et vides de sens (chaque individu a ses croyances personnelles et fonctionne à un rythme particulier).»

 

«Nous sommes aujourd’hui témoins de la naissance d’une civilisation mondiale qui puise ses origines dans un cadre technologique occidental tout en s’enrichissant spirituellement des différentes civilisations du monde.»

 

«Pour moi, le plus important est de créer des œuvres pour les gens qui n’ont pas de limites — des personnes sans frontière. Je n’insuffle pas mon art d’une culture proprement japonaise; ce que je mets dans mon œuvre provient du monde dans son ensemble.»

 

«Je n’ai jamais été un nationaliste; je suis un citoyen du monde. Les arts, les sciences, les philosophies et les idées exceptionnelles n’ont pas de frontières, car ils ne sont pas créés pour un pays spécifique ou des individus, mais pour l’ensemble de l’humanité.»

 

«La raison pour laquelle je me sens influencé par les artistes traditionnels, classiques, est que les artistes modernes créent de l’art pour l’art, tandis que l’art classique créait de l’art pour les gens: cela m’importe beaucoup. Je suis convaincu que l’art — tout spécialement l’art contemporain — a comme devoir de créer des dialogues. L’art qui ignore la question du terrain commun, qui ne tient pas compte de son devoir de communication, aboutit automatiquement dans le cul-de-sac qu’est l’art pour l’art. Cela ne produit que des déchets qui ne peuvent rien ni pour la population ni pour la société.

 

 

Les œuvres et l’exposition

 

Time Neo, 1996
Six éléments montrant les chiffres 1 à 9 en néon fixés sur une plaque d’acrylique translucide de 165 x 76 cm. Les chiffres clignotent de facon régulière; chaque élément ayant son propre rythme.
Production: Centre international d’art contemporain de Montréal, 1996
Collection de l’artiste et du CIAC

 

Six chiffres en néon sont posés au sol, appuyés sur une face différente de chacun des piliers. Les six chiffres s’allument à des vitesses différentes.

 

L’œuvre est conçue de façon à ce qu’il soit impossible de voir tous les chiffres d’un même coup d’œil. Voir l’ensemble nécessite que nous fassions appel à notre imagination. Le principe est emprunté au jardin Zen, où une pierre en obstrue toujours une autre, peu importe notre emplacement.

 

Chemin Mille, 1991
Diodes émettrices de lumière, circuit intégre, fil électrique, panneau d’aluminium, panneaux en bois,
11,0 x 26,0 x 3,5 cm: chaque unité.
Collection du Musée des beaux-arts du Canada

 

Cette œuvre fait partie de la Série 133651, débutée en 1990. Le chiffre 133651 est la somme de combinaisons possibles dans un agencement de 10 gadgets, ce qui équivaut à une unité. Parmi les 133651 possibilités, celles qui sont un multiple de 7 sont vertes, les autres sont rouges. Ceci se visualise très bien dans Chemin mille où une unité verte apparaît à toutes les septièmes lignes (*133651 divisé par 7 = 19093 possibilités de lignes vertes).

 

Dans une pièce obscure, cent unités de mille compteurs sont classées par numéro de série, et sont disposées au sol en deux rangées parallèles qui forment un chemin lumineux. Les rangées vertes sont distribuées régulièrement parmi les rouges, avec un léger décalage dans l’alignement des deux sentiers qui, côte à côte, dessinent le chemin incandescent.

 

Le spectacteur se sent désincarné, tant en raison de la privation sensorielle provoquée par la salle obscure que de l’immatérialité des chiffres qui scintillent. Dans le noir, toute structure physique qui pourrait expliquer la logique ou le dessein du chemin se trouve invisible; les compteurs amènent le spectateur à un état de contemplation à la fois conceptuel et sensuel.

 

Dessin pour «Chemin mille», 1991
Mine de plomb, photocopies, carton en gris et en beige sur papier vélin,
68,0x 170,0cm.
Collection du Musée des beaux-arts du Canada.

 

Counter Voice In the Air, 1995
Vidéo VHS, 15 mi., couleur.
Miyajima Tatsuo, suspendu dans le vide, dit, en s’agitant, à voix haute, les chiffres 9 à 1 à des vitesses différentes. Au moment du zéro, Miyajima Tatsuo se tait et devient immobile.
Production: Galerie Koyanagi, Tokyo.

 

Counter Voice in the Water, 1996
Vidéo VHS, 15 mi., couleur.
Miyajima Tatsuo dit à haute voix les chiffres 9 à 1 à des vitesses différentes. Au moment de dire zéro, il se tait et plonge la tête dans un bol d’eau.
Production: Galerie Koyanagi, Tokyo

 

Counter Voice in NET, 1996
Miyajima Tatsuo vous invite sur son site. Pour que ce projet prenne tout son sens, des gens de tous milieux et de toutes langues doivent y collaborer. Vous pouvez soumettre votre participation au projet.

 

Le temps – le mouvement
Les principes directeurs de l’œuvre de Miyajima Tatsuo reposent sur trois concepts humanistes empruntés à la philosophie bouddhiste:
– changer toujours (l’évolution)
– connecter avec tout (la communication)
– continuer à jamais (la continuité)

 

Ses installations sont une réflexion sur le concept du temps, sur ce qu’il appelle le «vrai temps réel», soit la combinaison du «temps imaginaire» et du temps «réel». Le «temps imaginaire» est celui tissé par notre mémoire, nos émotions, notre monde intérieur; le «temps réel» est celui de la science, des horloges.

 

En plaçant ses pièces dans l’obscurité, ou en les disposant de façon à rendre impossible la vision de leur totalité d’un seul point de vue, Miyajima Tatsuo répudie l’œil physique. L’espace est sans point de repère, puisque les nombres semblent avoir une vie propre, sans forme ou structure discernable; il est davantage un regard au-delà du corps physique. Ainsi, après avoir répertorié tout ce qu’il y a à voir, notre attention s’attarde aux rythmes, aux répétitions, aux durées et à l’écoulement du temps. Ceci conduit inévitablement à une méditation sur la nature et le caractère du temps, comme à des interrogations concernant la cosmologie (l’univers, sa formation et son évolution). Miyajima Tatsuo dirige notre attention sur le point de rencontre entre l’invisible et le visible; il nous oriente vers une réalité qui est perçue davantage par notre intuition que par notre raison.

 

Miyajima Tatsuo choisit d’utiliser des chiffres arabes, comme il adopte la technologie contemporaine: pour leur capacité à transcender les différences culturelles et à renforcer l’accessibilité et l’immédiateté de ses installations. Ainsi, l’utilisation des DEL (diode émettrice de lumière) contribue au sentiment de proximité et d’universalité de ses œuvres. Et contrairement à la peinture, la sculpture ou le dessin, étroitement liés à des traditions ou contextes historiques, les DEL sont libres de toute trace de spécificité culturelle.

 


 

*(Cette fiche accompagne l’exposition MIYAJIMA Tatsuo, présentée du 5 décembre 1996 au 26 janvier 1997, au ClAC-Centre international d’art contemporain de Montréal.)

 

Nous remercions la Fondation du Japon, le Consulat général du Japon à Montréal, le Conseil des Arts du Canada/le Fonds Japon-Canada, le Conseil des arts de la Communauté urbaine de Montréal, le Musée des beaux-arts du Canada, la galerie Koyanagi, l’Université du Québec à Montréal, Claude Néon, ainsi que tous les Associés du CIAC.

 

Recherche: Guy Giard. Sources des citations: Tatsuo Miyajima, Chemin mille, Musée des beaux-arts du Canada, dépliant bilingue, 1996; Tatsuo Miyajima, Kunsthalle Zurich, Oktagon Verlag, Munchën & Stuttgart, 1993; Tatsuo Miyajima, Berliner Kunstlerprogramm des DAAD et Museum Het Kruyithuis, Den Bosch 1991; Haus, Mary, Dreaming by Numbers, in Artnews, vol. 90, no. 9, novembre 1991, pp 79-80.