Psy.Geo.Conflux
[murmur]
Teletaxi - Jhave, Gridlock
New York Snap Exchange
One Block Radius
compte rendu


PROMENADE AU PSY.GEO.CONFLUX



Urban Tapestries « La psychogéographie se proposerait l'étude des lois exactes, et des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus. L'adjectif psychogéographique, conservant un assez plaisant vague, peut donc s'appliquer aux données établies par ce genre d'investigation, aux résultats de leur influence sur les sentiments humains, et même plus généralement à toute situation ou toute conduite qui paraissent relever du même esprit de découverte. »

Guy Debord
1.


Ces mots se sont répercutés dans les rues de New York, inspirant les flâneurs, les philosophes ambulants et tous les autres aventuriers urbains que vous pouvez imaginer durant le Psy.Geo.Conflux de cette année, qui s'est déroulé du 13 au 26 mai dans le Lower East Side. C'était le second Conflux organisé par les artistes Christina Ray et Dave Mandl. L'assistance croissante reflète non seulement l'intérêt grandissant des universitaires pour le projet situationniste et ses disciplines, mais l'ampleur gigantesque des ouvrages artistiques qui peuvent tomber sous la rubrique du psychogéographique - le « plaisant vague » de Debord. L'influence situationniste était palpable dans environ la moitié des activités de la réunion, qui étaient divisées en six catégories : « Navigate », « Play », « Sense », « Show », « Speak », « Strike » (naviguer, jouer, sentir, montrer, parler et frapper).

D'une part, il y avait des discussions et des activités d'avant-garde (qui devraient aujourd'hui être appelées traditionnelles). David Pinder a donné une excellente conférence sur les « psychogéographies dés/orientantes » et les préalables tortueux de dérives convenables ; Peter Lamborn Wison, parfois connu sous le nom de l'auteur anarchiste Hakim Bey, a parlé des « lieux sacrés du comté d'Ulster » ; et, dans la vraie coutume situationniste, il y a eu une tentative de naviguer à travers New York avec un plan de Copenhague. En même temps, comme l'indique la ponctuation dans le titre de l'événement, l'attention a beaucoup été centrée sur les nouveaux médias et les arts Web. Ce qui suit est un compte rendu plein de méandres d'une sélection de ces ouvrages. Il y avait une telle abondance d'activités en perspective que j'ai dû limiter mon choix à un nombre d'événements gérable. Quelques-uns de ces efforts n'existent que sur la toile ; d'autres tendent à intégrer et apportent les nouvelles technologies dans la rue. Dans tous les cas, on s'efforce d'interagir avec la ville d'une façon nouvelle et vivante.

Dans l'esprit de l'événement, je n'ai compté que sur le transport bipède durant les quatre jours du Conflux. Ce faisant, j'ai connu une section de la ville que je n'aurais pas autrement connue, et j'ai aussi annexé des quartiers en dehors de Manhattan - Brooklyn peut-être, Queens, non. Je n'éprouve aucune honte à reconnaître que je me suis fréquemment égaré, proposition difficile dans la grille de New York. (Walter Benjamin conseillait de le faire délibérément pour développer l'habileté de se perdre dans l'étalement urbain.) D'autres participants non autochtones au colloque n'ont pas eu ce plaisir du bon et du mauvais parce que beaucoup d'entre eux se promenaient avec leur téléphone portable ou leur PDA. (Surtout des portables - plus qu'à tout autre colloque auquel j'ai assisté, il y avait une sonnerie incessante et perturbatrice au Psy.Geo.Conflux.) Ces appareils étaient souvent munis de la technologie GPS, capable de vérifier une carte tandis que leurs propriétaires se baladaient.

Ceci m'amène à l'une des propositions les plus intéressantes du Conflux : l'atelier et la conférence de Nick West sur Urban Tapestries. Avant d'y assister, mon opinion des PDA et du reste, comme instruments psychogéographiques, était qu'ils étaient contraires à l'idée d'une bonne dérive ; savoir précisément où on se trouve diminue l'élément de surprise, produisant des « Psychogeographically Disaffected Agents » (agents psychogéographiquement désaffectés) du même acronyme que les PDA. La conférence de Nick West, en dépit d'une composante PowerPoint plutôt malheureuse, m'a un peu fait changer d'idée. Le projet Urban Tapestries préconise l'utilisation de PDA et de médias locatifs semblables pour annoter la ville. Ce qu'implique exactement le mot « annoter » a fait l'objet d'une discussion, mais l'idée générale, c'est que si les utilisateurs de PDA ont leur appareil dans un quartier donné ou à un lieu précis dans ce quartier, ils peuvent annoter des photos, du texte ou du son relatifs au lieu que pourrait consulter un utilisateur ultérieur de PDA sur le lieu. Le contenu de l'annotation serait spécifique au lieu ; ainsi, dans l'hypothèse d'une annotation, on pourrait avoir la photo d'un immeuble présent sur les lieux avant que des condominiums soient construits sur ses ruines, ou l'histoire oubliée d'un personnage local dans une rue particulière. Plus tard, les gens se promenant dans cette partie de la ville auraient accès aux annotations antérieures.

En gros, Urban Tapestries font beaucoup penser au projet [murmur] de Toronto, aussi présent au Conflux. Dans [murmur], les citadins, à la vue d'une affiche indiquant un récit [murmur] à un certain endroit, se servent de leur portable et appellent pour entendre une histoire sur le lieu. Non seulement le projet tente-t-il de changer la nature de l'espace public dans les environnements urbains, mais il cherche à humaniser le portable, instrument que le directeur artistique de [murmur] dit trouver « isolant et froid »2. Ce genre de réconciliation de l'espace privé et public, et la reconnaissance du fait que les téléphones portables ne sont pas pour tous, différencient le projet à la fois de l'aliénante technologie GPS et de graffitis souvent illisibles, deux phénomènes comparables ; [murmur] est à cheval sur le fonctionnel et le convenable. Le projet n'est pas sans inconvénients cependant. Jusqu'ici, un grand obstacle à surmonter aussi bien pour [murmur] que pour Urban Tapestries, c'est l'indisponibilité de ces appareils pour les moins affluents. Si intéressant que [murmur] paraisse, par exemple, je n'ai encore pu en faire l'essai - et ceci, malgré le fait qu'une version locale montréalaise, [murmure], ait été lancée au dernier FCMM (Festival des nouveaux cinémas et des nouveaux médias de Montréal).

Si la première utilisation, évidente, de tels projets est d'ordre historique ou muséal, en pratique les annotateurs de Urban Tapestries ne se sont pas limités au documentaire comme l'a fait [murmur] - et c'est une bonne chose aussi : la ville-musée serait une conséquence malheureuse d'une proposition aussi intéressante et n'encourage certes pas l'interactivité psychogéographique requise. Au cours d'un essai à Londres, les auteurs PDA de la ville ont exploré la fiction historique, racontant « le jour où les sous-marins allemands ont remonté la Tamise et détruit la cathédrale St. Paul » ; d'autres ont écrit des confessions personnelles, comme l'individu qui a noté les discussions que lui et ses amis avaient eues dans divers restaurants de Bloomsbury, où l'expérience a eu lieu. Le potentiel du projet est énorme. Les avances futures pourraient amener des listes annotées de « potes », où le PDA n'autoriserait que les annotations de certains utilisateurs pour ne pas encombrer de remarques un lieu populaire. (Imaginez avoir à parcourir les pensées et les histoires de tout le monde à propos, disons, du Centre Eaton : ce serait aussi fastidieux et aussi psychogéographiquement démoralisant que l'expérience du lieu même.) Ou, comme l'a fait observer un membre de l'auditoire à la discussion, l'élément audio pourrait jouer une chanson dans le PDA qui progresserait selon qu'on tourne dans une rue ou dans une autre. Une autre possibilité serait d'annoter sélectivement une histoire libérale comme London: The Biography, de Peter Ackroyd3, comportant des renseignements psychogéographiques obscurs particuliers à un lieu.

La conférencière Michelle Kasprzak, de Teletaxi, exposition basée à Toronto qui se déroule dans un certain nombre de taxis en circulation, accompagnait la discussion sur Urban Tapestries. Le groupe Teletaxi a acheté des installations automobiles initialement utilisées dans un projet publicitaire qui a échoué : un écran visible de la banquette arrière devait imposer des publicités au client captif, à côté d'un plan GPS affichant une image du taxi en marche et faisant voir au passager à quel pas de tortue il avançait. Les artistes de Teletaxi ont ressuscité et repensé les appareils et mis leur potentiel à bon usage. Emboîtant le pas au GPS, une courte bande vidéo s'engage selon le quartier où se trouve le taxi. Donc, d'une rue à l'autre, on peut avoir des images des immeubles devant lesquels le taxi défile à Montréal ou une ode aux tributaires ou même la création de David Jhave Johnston, collaborateur du Magazine électronique du CIAC, Gridlock, fort discutée au Conflux. Gridlock utilise un écran tactile interactif sur lequel le passager peut tracer et inspirer des dessins, mais, comme le nom le suggère, la pièce n'est disponible que si le taxi est immobile. Ainsi, l'improbable équation devient : malchanceux dans la circulation = chanceux en art. Teletaxi doit venir à Montréal, donc la prochaine fois que vous aurez une inclination à la dérive, reconsidérez - prenez un taxi.

Cela dit, la critique compréhensible et incontestable faite de Teletaxi avait trait à la nature du Psy.Geo.Conflux : en taxi, il y a très peu d'interaction avec la ville. Une telle critique ne peut être adressée à des projets similaires basés sur l'Internet comme Walking in the City ou New York Snap Exchange, deux entreprises simples de participation urbaine qui n'existent que sur la toile. Le site Walking in the City, version superficielle dédiée au Psy.Geo.Conflux d'une œuvre plus vaste dans laquelle l'auteur Kabir Carter affiche sur la toile avec son portable les descriptions de sons qu'il entend en se baladant dans New York. La simple liste de sons produit une lecture électroacoustique plutôt monotone, mais elle reflète un engagement avec la ville qui est absent de Teletaxi et une possibilité technologique prometteuse où plusieurs pourraient afficher des sons directement de la ville à l'ordinateur. New York Snap Exchange est plus inclusif - justement inscrit dans la catégorie « Play » du colloque - et est joliment décrit sur le site comme « un jeu de photographie de rue massivement multijoueur ». Les participants au jeu affichent un défi photographique sur le site Web (« Photographiez quelque chose qui sent bon à côté de quelque chose qui sent mauvais » ; « Prenez une photo d'un type d'aliment qui est peu consommé d'où vous venez ») et les autres les relèvent. À en juger par le site, la réponse au jeu n'a pas été énorme jusqu'ici. Mais il a certainement du potentiel à beaucoup plus grande échelle et force les gens à explorer leur ville de façon investigatrice, ce qui est un résultat heureux pour un colloque psychogéographique.

L'apogée du travail multimédia pour moi a été la contribution des organisateurs de Conflux, One Block Radius, qui interagit avec la ville avec l'œil d'un documentariste, ou, plus à propos, le pas de l'explorateur. One Block Radius, justement sous-titré « Un documentaire psychogéographique », entend être une capsule témoin d'une partie de New York qui sera bientôt irrémédiablement disparue quand le Nouveau musée des arts contemporains y construira ses colossales nouvelles installations. Sur le site Web, un projet qui ne peut que découler de l'amour, on trouve un plan rudimentaire et un choix de catégories. Si on sélectionne une catégorie (elles vont alphabétiquement des « publicités » à « inconnue » et en englobent beaucoup d'autres entre les deux), les lieux sur le plan où des exemples de la catégorie sont documentés apparaissent. Si on clique sur un lieu, on voit le texte, la photo, la vidéo ou l'audio particulier à ce thème et à cet endroit. Il y a une telle profusion de vie - et les détritus banaux, sauvages qui l'accompagnent - sur ce pâté de New York et les collaborateurs l'ont si minutieusement documentée qu'on peut passer un très long et captivant moment à explorer le site de conception très élaborée.

Dans leur présentation, Christina Ray et Dave Mandl ont parlé de One Block Radius comme d'un « hyperdocumentaire », qui, si on suit leur ligne de pensée, implique sans le dire l'hyperréalisme. Même si on peut penser à Baudrillard, ce n'est pas l'hyperréalisme de Baudrillard qu'on trouve ; une meilleure association serait Laurence Sterne, qui a documenté les menus détails avec une obsession si affectueuse dans ses livres que la « réalité » en est devenue insignifiante, la source transformée. Ceci permet des moments splendidement absurdes sur le site One Block Radius. Toute la sous-section « religion/spiritualité », si petite soit-elle, révèle une imagerie de dévotion placée de manière fantasque comme une croix géante au fond d'une ruelle miteuse. La beauté étrange du clip vidéo intitulé From a Balloon, où on semble avoir attaché un appareil photo numérique à un mini-dirigeable et l'avoir laissé dériver à haute altitude au-dessus du quartier, est plus grisante. Tout est cependant envahi d'un sentiment de mélancolie puisque le site est une sorte de testament avant qu'une opération architecturale (dont les résultats sont imprévus) n'ait lieu. Leur présentation a été la plus courue de toutes celles auxquelles j'ai assisté au Conflux, et c'était largement mérité.

Mon compte rendu se limite à moins de la moitié des nombreuses activités du colloque - quelques-uns des meilleurs éléments n'avaient rien à voir avec les nouveaux médias ou l'art Web - et pourtant elles montrent une façon joyeuse d'aborder l'urbanité qui était typique de l'ensemble. On pourrait qualifier l'occasion de renaissance des notions psychogéographiques que les situationnistes ont proposées il y a quelque 50 ans ; de plus, ce n'est qu'une expérience naissante avec le potentiel de certaines technologies qui font intersection avec la ville. Dans les années à venir, on peut s'attendre que les disciplines de la psychogéographie continuent de s'étendre et que le Conflux grandisse en parallèle. Si la psychogéographie est une science utopique, comme beaucoup le croient, le Psy.Geo.Conflux joue un rôle central dans un effort essentiellement transformateur.



Notes
1 : Guy Debord. "Introduction to a Critique of Urban Geography", Situationist International Anthology. Ed. Ken Knabb. Berkeley: Bureau of Public Secrets, 1981. 5-8.  

2: Sam Toman. "[murmur] Whispers Sweet Something in Your Ear."  

3 : Peter Ackroyd. London: The Biography. London: Vintage, 2001.  




Patrick Ellis
(Traduit de l'anglais par Jean-Pierre Fournier)

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