Agricola de COLOGNE, urban.early sunday morning_raw
Agricola de COLOGNE, urban.early sunday morning_raw
Agricola de COLOGNE, urban.early sunday morning_raw
Agricola de COLOGNE, urban.early sunday morning_raw
œuvre 1


urban.early sunday morning_raw,
d'Agricola de COLOGNE (Allemagne), 2002



Agricola de COLOGNE, urban.early sunday morning_raw « Métropole : dimanche matin, entre la fin de la nuit et l'aube, entre l'espoir et la résignation, entre la poursuite d' un rêve et le retour à la ville ou au village.
Revenir de la disco, avec le souvenir de cette fille pulpeuse ou de ce garçon en rut, hésitant entre le maintien de l'innocence ou la tentation d'une aventure érotique exceptionnelle.
C'est le moment où l'on ne sait pas encore, où l'on vacille entre oui ou non.
C'est un même rituel chaque week-end, même si les décisions se prennent seulement une fois.
C'est un jeu entre l'identification et l'identité.
L'œuvre décrit le paysage urbain comme le scénario d'un jeu, où les protagonistes se trouvent pris sans aucune chance de s'échapper.

L'œuvre est développée selon le principe du SAMAC (« Simultaneous Associative Media Art Composing » - composition en arts médias simultanée et associative), un terme qui décrit la manière personnelle d'Agricola dans le domaine de l'écriture électronique expérimentale : les mots, les sons, les images, l'animation, la performance musicale et vocale sont développés simultanément - dans la dépendance les uns des autres - dans un long et unique processus. »
1


Déjà le titre de cette œuvre nous en annonce et le fond et la forme : urban, le lieu - la ville, early sunday morning, le temps - tôt le dimanche matin, enfin le sujet et le style, raw, c'est-à-dire pris sur le vif, direct et cru, tout cela passé au fil du web : urban.early sunday morning_raw s'écrit en effet comme une adresse internet.

Le lieu choisi par Agricola de Cologne est celui d'une gare importante (la Stazione Centrale à Milan, en Italie) : un lieu par excellence emblématique de la disponibilité et de la permissivité propre à l'espace urbain2, un lieu de passage, à la fois dans la ville et hors la ville, un lieu de transition, où toutes les rencontres, toutes les histoires, tous les romans sont possibles, car dans ce lieu le citoyen venu de là ou d'ailleurs y (re)devient (même si c'est pour un court moment) simplement le passager, le voyageur, l'inconnu, le nomade. Et cette gare, l'artiste nous la montre justement à la fin de la nuit où samedi fait tout doucement place à dimanche. Or, comme l'artiste le souligne bien dans le synopsis de l'œuvre, ce moment particulier de la fin (ou presque) de la fête est aussi transitoire que le lieu ici visité. En cela, il se révèle magique et privilégié : car c'est le moment de l'« entre oui ou non », propice donc plus qu'un autre au jeu, au travestissement, à la fiction.

Le visiteur est accueilli dès l'entrée de l'œuvre par une musique rythmée, lancinante, qui accompagne la voix d'une chanteuse soul (comme un écho de la disco que les fêtards attardés viennent peut-être de quitter) - une musique qui persistera comme fond sonore tout au long - tandis que les lettres formant le titre apparaissent en sarabande animée. Des fragments d'images surgissent alors, qui s'assemblent et se complètent assez rapidement dans une image plus large, néanmoins assez floue et mouvante, avec des superpositions multiples et des saccades indicatrices du temps qui passe (en streaming). L'on y voit entre autres se profiler un personnage qui retient tout de suite l'œil, assez ambigu, costumé et et coiffé d'un casque bizarre qui le masque à demi. Immédiatement l'impression (et l'attente) d'un jeu, celle d'une scène en cours ou qui s'annonce, s'installe dans l'esprit du visiteur devenu voyeur…

Parallèlement la voix de l'artiste fait entendre en contrepoint des images qui continuent à défiler, à se croiser ou se superposer (gros plan d'un visage de femme, gens qui passent dans le hall de la gare, animation de la rue d'une fin de nuit, lumières des voitures, etc) et des sons (ceux de la musique et des bruits de la gare). Cette voix monocorde récite ce qui semble être moins un commentaire suivi que des mots ou des fragments de phrases assez difficilement audibles, que l'on saisit néanmoins parfois au passage. Cette voix prend cependant peu à peu de l'assurance, et elle finit par une récitation plus achevée comme celle d'un poète ou d'un prophète inspiré, au son de la musique réduite au rythme répétitif de son tam tam… Des mots, écrits ceux-là, s'affichent en outre au bas de l'écran : see, feel, (vois, sens)…

Dernières images enfin, sur lesquelles l'oeuvre continue de s'attarder : un couple qui s'embrasse (dans le coin gauche de l'écran), tandis qu'à droite les passagers continuent de défiler vers l'escalier roulant de la gare, et qu'au bas (comme au haut) de l'écran, se découpe, intermittent, ce qui ressemble à un paysage entraperçu derrière les vitres d'un train en marche…

Tout cela finissant par composer moins un « stream of consciousness » qu'un « stream of sensations », rassemblant pour un moment magique et ludique, sur la scène du petit théâtre total créé par le web, un collage d'impressions et de visions fugitives, d'émotions et de désirs aussi réels et insaisissables que la vie (urbaine) elle-même.





Notes
1 : Synopsis écrit par l'artiste, cf. www.nmartproject.net/agricola/mpc/volume6/urban.html  

2 : Comme le soutient dans plusieurs de ses textes l'urbaniste Richard Sennett, ainsi dans le passage suivant :

« [Les villes] ont la capacité de faire de nous des êtres humains plus complexes. Une ville est un lieu où les gens peuvent apprendre à vivre avec des inconnus, à partager des expériences et des centres d'intérêt non familiers. L'uniformité abrutit, tandis que la diversité stimule l'esprit.

La ville offre aussi à ceux qui l'habitent la possibilité de développer une conscience d'eux-mêmes plus riche. Ils ne sont pas simplement banquiers ou balayeurs, afro-antillais ou anglo-saxons, anglophones ou hispanophones, bourgeois ou prolétaires : ils peuvent être l'un ou l'autre, ou tout cela en même temps, voire plus. Ils ne sont pas assujettis à un schéma identitaire figé. Les gens peuvent développer des images multiples de leur identité, en sachant que ce qu'ils sont varie en fonction des personnes qu'ils fréquentent. C'est là le pouvoir de la diversité : libérer de toute identification arbitraire. […]

Si en public le citadin peut porter un masque impassible et dans la rue se comporter avec indifférence à l'égard des autres, il n'en est pas moins stimulé en privé par ses contacts étrangers. Et ses certitudes sont ébranlées par la présence des autres. »

Richard Sennett, « La civilisation urbaine remodelée par la flexibilité », in Le Monde diplomatique, Février 2001.  




Anne-Marie Boisvert

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