œuvre 3


Embracing Animal,
de Kathy HIGH (États-Unis), 2005



« Les rats sont des créatures délicates qui exigent soins et attention. Ce sont des animaux très intelligents dont le métabolisme ressemble beaucoup à celui des humains ce qui explique pourquoi on les utilise dans les expériences de laboratoire. Ceux que l'on retrouve dans l'exposition MASSMoCA sont des rats transgéniques, c'est-à-dire des rats chez qui l'on a implanté des traces d'ADN humain, des cousins en quelque sorte. On doit vérifier leur condition plusieurs fois par jour et à tous les jours. La personne qui s'en occupe doit prendre le temps de se familiariser avec leurs besoins. S.V.P., ne considérez pas ces rats seulement comme des animaux de compagnie, mais aussi comme des créatures avec qui vous coexistez. En d'autres mots, traitez-les avec beaucoup de respect ».

Kathy High
1



Kathy High est une artiste new-yorkaise célèbre dont les œuvres, que ce soit sur film, vidéo ou, plus récemment en Art Bio, jettent un regard critique, féministe et curieux sur les domaines de la science, de la médecine et du corps. Chargée de cours et responsable des arts à l'Institut polytechnique Rensselaer de Troy (N.Y.), elle est aussi rédactrice en chef de FELIX: A JOURNAL OF MEDIA ARTS AND COMMUNICATION. Son œuvre la plus récente est intitulée Embracing Animal. Elle a été créée pour l'exposition Becoming Animal sous la direction de Nato Thompson, et présentée au Massachusetts Museum of Contemporary Art (MASSMoCA) en mai 2005. Embracing Animal nous présente l'histoire de trois rates transgéniques : Matilda Barbie, Tara Barbie et Star Barbie. Toutes trois sont nées en laboratoire et destinées à la reproduction. Kathy High les a adoptées au terme de leur période reproductrice, alors qu'elles avaient donné une année de leur vie et deux portées chacune à la poursuite de la recherche scientifique. Les rats transgéniques sont fréquemment utilisés comme substitut animal viable aux fins d'expériences scientifiques. Génétiquement, les rats sont près de l'Homo Sapiens; les symptômes et les résultats que l'on rencontre chez eux sont comparables à ceux que l'on retrouverait dans l'organisme humain. Les rates de Kathy High appartiennent à la lignée de rats transgéniques HLA-B27 dont le phénotype est similaire à celui des humains souffrant de troubles rhumatismaux et auto-immuns. On les reproduit à dessin en laboratoire pour poursuivre des expériences par une méthode de transfert de gènes, impliquant l'insertion d'ADN humain dans un ovule de rat, lequel est transplanté par la suite dans l'utérus d'une rate porteuse et développé in vivo jusqu'à la naissance. Toute progéniture qui ne possède pas l'expression du gène désiré est détruite.

Mathilda, Tara et Star se sont avérées toutes trois d'excellents spécimens transgéniques. À la fin de leur vie utile en laboratoire, High les a achetées et les a prises chez elle où elles (High et les rates) partagent non seulement une maison et une vie en commun, mais aussi l'expérience de souffrir d'une maladie chronique. Atteinte de troubles auto-immuns (maladie de Crohn et scarcoïdose), High s'est efforcé d'améliorer la qualité de vie de ses rates et de traiter ces mêmes maladies qu'elles avaient pour mission de manifester. Le traitement homéopathique qu'elle leur prodigue, joint à une observation attentive et empreinte de bienveillance, est similaire à celui qu'elle a choisi pour elle-même. Depuis, elle note leur état de santé, leurs habitudes de vie et leurs expériences dans un journal de bord, complété par des photographies et des vidéos. Dans une entrevue avec Suzanne Anker, High a affirmé qu'elle n'est pas la seule auteure de cette œuvre (à la fois œuvre, recherche et mode de vie), mais que les rates en sont des participantes actives : « Nous travaillons ensemble »2.

Dans l'ambiance d'une galerie d'art, Embracing Animal acquiert une réalité tout à fait différente. Lorsque Matilda, Tara et Star vivent chez High, on peut les considérer comme des animaux de compagnie (même si l'artiste se refuse à cette appellation) ou comme une intéressante histoire de sauvetage animal, comme des talismans, voire même comme des sortes de modèles du corps de l'artiste aux prises avec la maladie. Mais aucune de ces descriptions ne permet de comprendre avec justesse la subtilité de cette œuvre complexe, et échoue ainsi à décrire la relation à deux tranchants entre l'animal transgénique et l'être humain qui partage sa vie. Selon moi, cette relation se comprend beaucoup mieux lorsque l'on passe de l'atmosphère d'un foyer à celle d'une galerie. Les rates y sont transportées une journée avant l'ouverture officielle, ce qui leur permet de faire connaissance avec leur nouvel environnement avant que celui-ci ne soit envahi par les spectateurs, sans avoir non plus à subir le bruit et l'agitation qu'engendre la construction de leur espace par les équipes de la galerie, lesquels s'avéreraient dommageables pour ces créatures délicates. À côté des cages se trouvent plusieurs éprouvettes géantes en verre au fond desquelles des écrans présentent en continu sur vidéos toute une gamme d'interactions entre animaux et humains. Tout ceci est expliqué dans un site web à la fois instructif et touchant qui rend compte de l'intérêt à la fois personnel et scientifique de High en jeu dans Embracing Animal, et qui présente en même temps un bon nombre d'images et de vidéos des rates prises dans la maison de High.

La dernière composante de cette installation, et sans doute la plus importante, est l'artiste elle-même. Je m'en voudrais de faire croire que la présence de l'artiste est nécessaire pour l'interprétation de l'œuvre; cependant, celle-ci prend tout son sens lorsque nous pouvons voir Kathy High collaborant et interagissant avec ses rates. Car nous pouvons alors être témoins des attentions, des exigences, des interprétations, et de la compréhension mutuelle dont les rates sont le centre et le prétexte. Celles-ci sont à la fois mignonnes et étrangement grotesques. Elles démystifient notre crainte des animaux transgéniques, mais, en même temps, elles suscitent en nous une crainte plus grande encore à l'endroit d'une science et d'une humanité qui osent engendrer d'aussi faibles créatures au seul profit des humains. Ce ne sont pas des animaux de compagnie, pourtant elles ont des jouets humains (une ferme Fisher Price). S'agit-il d'un zoo ? Nous sommes certes touchés par le geste de High qui a sauvé ces animaux de leur destin comme sujets d'expérience, mais en même temps nous ne pouvons oublier ses propres expériences sur ces rates auxquelles elle administre des traitements homéopathiques dont elle enregistre les résultats. À quelles fins ? Est-ce que High ne se sert pas à son tour de ces organismes pour répondre aux désirs humains ? Les rates semblent avoir besoin de High, mais High, à son tour, semble avoir besoin d'elles. C'est précisément en cela que réside la réussite de Embracing Animal - dans l'exploration des relations complexes entre l'espèce humaine et les animaux transgéniques de laboratoire.





Notes
1 : Kathy High, Embracing Animal.  

2 : Kathy High, Artists in the Science Lab, entrevue avec Suzanne Anker, sur The Bio Blurb, Radio PS1 MoMA, édition #6.  




Jennifer Willet
(Traduit de l'anglais par Serge Marcoux)

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