œuvre 1


Virus Corp,
de Tara BETHUNE LEAMEN (Canada), 2001

par Anne-Marie Boisvert




La créature dont il est question dans Virus Corp est une figure simplifiée, exagérée, cartoon-like, aux couleurs vives, représentant une sorte de cerf ou de renne fabuleux, sans yeux ni bouche et aux larges pattes. Une force animale, primitive et aveugle qui, une fois lancé comme un corps étranger dans un site quelconque choisi par le visiteur, le piétine et le foule allégrement, de gauche à droite et de droite à gauche, les marques de son passage s'additionnant pour se superposer peu à peu aux éléments originaux qui composent le site. Il en résulte sur l'écran une image autre, où les traces accumulées auront laissé des formes inattendues détournant le site de son dessein trop utilitaire pour en faire une «œuvre d'art» brouillée, aléatoire et non-permanente (bien qu'on puisse en imprimer le résultat momentané).

Tara Bethune-Leamen nous offre ainsi avec cette œuvre l'opportunité, non de détruire ou de mettre en péril les sites investis, comme le ferait un «véritable» virus, mais plus paisiblement de simplement marquer de nos traverses, grâce au passage et au repassage du shishigami qui se substitue ici à nous et se fait notre représentant, le territoire des sites de notre choix. Plus la «victime» est puissante, bien sûr, plus cette transgression devient jouissive. L'œuvre en question s'apparente de ce point de vue beaucoup à la culture du graffiti, où le fait de réussir à marquer d'un tag la publicité d'une grande marque, par exemple, constitue un exploit, en même temps qu'une critique - néanmoins toujours ludique - du monde de la consommation, celui-ci se confondant pratiquement, hélas, de plus en plus avec le seul monde (re)connu, sans portes de sortie.

Le combat se joue donc ici au niveau des «représentations virtuelles», comme le souligne l'introduction reproduite ci-dessus. Car le shishigami n'est qu'un «pseudo-virus» - ce qui le rend deux fois virtuel, à la fois comme «créature» numérique et aussi en tant que symbole. Il peut ainsi tour à tour ou simultanément représenter la revanche de la nature et du monde animal sur la culture et le monde humain, l'irruption du jeu qui dérange et détourne le capitalisme de sa logique marchande, ou le retour du refoulé. Il s'agit d'abord d'une guerre d'images.
Je parle d'un activisme qui ait du style. […] Je parle d'une conscience critique, plus élevée, de ce qu'est le style plutôt que d'une utilisation correcte de tel ou tel logiciel, icône, jeu de couleurs, motif ou police actuels. (Geert Lovink, in David Garcia et Geert Lovink, «GHI des médias tactiques», Connexions, p : 79 1)
En résumé, Tara Bethune-Leamen nous démontre bien avec son Virus Corp que c'est dans le style que se rencontre et se fusionne l'esthétique et l'éthique, la forme et le fond.

Mais le style de cette œuvre, avec ses couleurs vives empruntées aux Anime japonais et aussi avec son utilisation de Flash, n'a par ailleurs pas grand'chose à voir avec le style des puristes du net.art, et c'est en quoi Virus Corp peut être vue comme typique d'une avancée dans le champ de l'art Web, puisant désormais son inspiration aux sources du pop art qu'elle regénère, plutôt que dans un minimalisme souvent trop rigide et trop étroit.





Note
1 Bureaud, Annick et Nathalie Magnan, eds. Connexions. Arts, Réseaux, Médias. École nationale supérieure des beaux-arts, Paris, 2002.  




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