œuvre 14


Triptych: Motion Stillness Resistance,
de Peter HORVATH (Canada), 2006

par Sylvie Parent




Dans chacune des unités de ce triptyque se succèdent des clips, prélevés de bases de données thématiques et sélectionnés de façon aléatoire. Dans l'écran de gauche défilent des images sur le thème du mouvement (motion), tandis qu'au centre la notion opposée de fixité (stillness) agit comme référence. Pour compléter le trio, la dernière case à droite présente des fragments ayant pour thème la résistance. Ces clips de durée variable se côtoient dans une composition horizontale qui se renouvelle avec chaque remplacement et présentent des séquences différentes d'un visionnement à l'autre.

Une telle structure rappelle des techniques de création comme le cadavre exquis ou les cut-ups, qui ont inspiré beaucoup d'autres œuvres Web. Fondées sur des générateurs de données, ces œuvres s'appuient sur l'aléatoire pour composer des ensembles inusités sur le plan sémantique. Ici, la linéarité de la composition et sa forme tripartite constituent des éléments favorables à la narrativité. Toutefois, les contenus exposés dans ces vidéos misent plutôt sur l'idée unificatrice soutenue par chaque fragment que sur son potentiel narratif. En effet, chaque section présente des situations répétitives, des événements analogues qui finissent par faire émerger un propos plutôt que de l'engager dans la confrontation avec les autres parties de l'œuvre. Entre les différentes unités de ce triptyque, une rupture s'installe, la juxtaposition de collections d'images aux valeurs opposées contrariant les liaisons entre elles et par conséquent la construction de liens sémantiques. Dans un premier temps, c'est plutôt l'individualité de chaque partie qui l'emporte sur l'expérience d'un ensemble.

De plus, parce que ces trois thématiques sont annoncées dès le départ, elles retiennent et dirigent fortement l'attention. Ainsi, le spectateur observe les divers mouvements de foule, les déplacements de véhicules et les activités humaines qui se déroulent dans la première case, tandis que celle du centre présente des vues sur des sites urbains ou des paysages. Les clips sur la « résistance », quant à eux, montrent des situations répétitives, des gestes syncopés et des événements qui paraissent contester la progression de l'image ou l'action en train de se produire. Pourtant, après quelques minutes, et après avoir constaté que les vidéos illustrent bien les notions préétablies par l'auteur, le spectateur attentif en tirera une conclusion plus nuancée. En effet, ni le mouvement ni la fixité ne sont jamais absolus dans les images présentées dans les deux premières sections de l'œuvre. Certaines vidéos, quoique peu nombreuses, se rallient même difficilement à ces idées. C'est alors qu'une appréciation de l'ensemble de l'œuvre peut se faire et que la troisième partie ayant trait à la résistance prend tout son sens.

En fait, plutôt que de favoriser des associations narratives comme c'est le cas dans plusieurs œuvres génératives, la structure du projet sert ici à soutenir un exposé dialectique. Ainsi pourrait-on dire que la première section représente une proposition, accompagnée en deuxième lieu d'un énoncé opposé. Pour finir, la dernière partie du triptyque offrirait une conclusion ayant valeur de synthèse. Dès lors, la résistance dont il est question est une résultante critique du mouvement et de la fixité, ni l'un ni l'autre de ces concepts n'existant de manière totale et satisfaisante.

À examiner les vidéos présentées dans la troisième section de l'œuvre, on constate par ailleurs que cette résistance prend plusieurs formes. Bien que l'image soit en mouvement, sa progression fait défaut en raison de répétitions, de retours et de discontinuités. Ce manque de progression l'oblige à une fixité « relative », qui pourrait se comparer au fait de « marcher sur place ». Cette résistance, à la fois au mouvement et à la fixité, exprime une certaine tension entre ces deux pôles, dualité qui s'est révélée créative dans l'histoire des arts de l'image, et en particulier de l'image obtenue par des moyens techniques.

La résistance au mouvement et à la fixité dont il est question dans cette œuvre s'exprime dans un contexte particulier, celui du Web. Cet espace a accueilli d'abord les images fixes, puis avec le temps, à mesure que les équipements le permettaient, les vidéos, animations et autres ingrédients visuels interactifs. La vocation multimédia affirmée de ce support à l'heure actuelle n'exclut pas les images fixes. Bien au contraire, celles-ci continuent d'afficher une présence importante (pensons au succès de flickr, pour ne nommer qu'un exemple évident). Dans ce milieu, cependant, les images fixes ne le sont jamais complètement puisqu'elles se retrouvent dans un environnement toujours changeant (barres de défilement, intégration à des zones interactives, etc.). D'un autre côté, les vidéos et animations prennent place sur des pages Web qui constituent des étapes, donc des arrêts dans le parcours de l'utilisateur. Tous les contenus publiés sur le Web s'inscrivent ainsi dans un environnement mixte, à la fois mobile et fixe et donc paradoxal. De plus, l'expérience du Web repose sur le fait que l'usager, lui-même « immobile » devant son ordinateur, a la sensation de se déplacer virtuellement. De ce fait, le triptyque de Horvath offre un regard critique sur la structure et l'expérience du Web en les qualifiant de mixtes, c'est-à-dire résistantes à l'une et l'autre condition - fixité et mobilité - dans leur forme absolue.




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