œuvre 10


North-South-East-West, de Graham THOMSON (Canada), 2003

par Xavier Malbreil




LA COSMOGONIE ALGONKINE CACHÉE/MONTRÉE ?



Au sujet du travail bien connu de Graham Thomson, North-South-East-West, nous rappellerons tout d'abord son mode de fonctionnement, ainsi que son organisation.

À l'ouverture de l'URL une interface d'accueil nous informe du format de l'œuvre, réalisée sous Flash.

Si l'hyperlecteur choisit de n'avoir aucune action, il découvrira un enchaînement de quatre séquences distinctes :
  • 1) une succession très rapide d'images nous laisse deviner un plan de pays, ou de ville. Il faut faire usage de plusieurs captures d'écrans, puis les agrandir, pour se rendre compte que le plan en question est celui de l'état du Minnesota (ou d'une partie de l'état), USA. Région limitrophe, faut-il le rappeler, des provinces canadiennes du Manitoba et de l'Ontario, terres ancestrales des Algonkins;
  • 2) une figure anthropomorphique, que l'on pourra associer à une représentation totémique, s'anime sur un fond de trames horizontales. Un cube dessiné en trois D roule également sur la représentation spatiale que constitue cette trame;
  • 3) dans des tons bleutés, sombres, un objet céleste occupe le fond d'une scène qui semble sortie d'un space-opéra. Un bras articulé (technologie canadienne ?) se rapproche d'un ensemble qui pourrait être une base spatiale;
  • 4) enfin, des paraboles, fixées sur des pylônes, des toits, semblent recevoir des ondes en provenance du ciel.
Une fois que l'hyperlecteur aura égrené le fondu-enchaîné de ces quatre séquences, il devra cliquer sur l'un ou l'autre des liens hypertextes pour découvrir une nouvelle interface - qui lui donnera accès au contenu de l'œuvre elle-même. De façon très simple, et comme de nombreuses œuvres nées sur le web ont pu nous le montrer, l'interface de l'œuvre se présente sous la forme d'une métaphore spatiale. En haut le nord, en bas le sud, à gauche l'ouest et l'est à droite.

Sous chacun des quatre points cardinaux, une liste de cinq à huit noms nous propose, grâce au lien hypertexte, de découvrir une séquence animée.

Avant de revenir sur leur contenu, arrêtons-nous quelques instants sur un autre élément de l'interface, qui sera toujours présent à l'écran, la méta-barre de navigation. Les choix proposés par cette méta-barre sont les suivants, assez semblables à ceux que l'on peut trouver sur bon nombre de sites : exit, home, contact, info.

L'alinéa « info » nous apprendra que l'œuvre est inspirée par la symbolique des points cardinaux traditionnelle du peuple algonkin.

On ne sera donc pas surpris d'avoir découvert que le plan qui défilait à toute vitesse en introduction était celui d'un état anciennement ( et également de façon contemporaine) peuplé d'algonkins.

Toute l'œuvre alors, peut se comprendre à partir de cet aspect de l'introduction.

L'histoire du peuplement américain étant supposée connue de tous, on ne pourra qu'être sensible au fait que le peuple algonkin, comme tous les peuples indigènes des deux Amériques, a un rapport au territoire éminemment problématique, conflictuel, voire douloureux.

Ce territoire, que le peuple amérindien a dû par force partager avec des européens, il est ici représenté à la limite du visible. A tel point que l'on est forcé de fixer l'image par capture d'écran, pour découvrir qu'il s'agissait d'un plan du Minnesota.

Le territoire, littéralement, est caché, virtuel. Il est par ailleurs le territoire de l'autre, puisque les noms de lieux sont pour la plupart issus de la représentation spatiale anglo-saxonne : Cambridge, Turkey Point, Normandale, etc… C'est un cas emblématique de l'utilisation des technologies de l'information et de la communication - où l'apparition et la disparition ainsi que la vitesse de défilement des images font sens.

Ce territoire caché, évoqué peut-être par cette danse totémique de l'introduction, puis déplacé dans l'espace, et enfin réinvesti sur terre à travers les ondes reçues par des paraboles, le corps de l'œuvre nous propose ensuite de le découvrir.

C'est en cliquant sur les différents items contenus sous les rubriques North South - East - West que nous pourrons ouvrir les séquences ayant pour nom :

winter, snow, elder, courage, ice, endurance (North), summer, spirit, quest, secrets, bloom, vision, adolesence, youth (South ), birth, dawn, spring, flower, sun (East), automn, adult, thunder, sunset, renewal, (West).

Au choix, on s'arrêtera sur la séquence « Vision », dans la rubrique North, pour entendre le message suivant lequel « Vision do not reveal »; ou encore on entendra, dans « Dawn » cette pensée animiste « All that belongs to the earth belongs to me ». Mais là n'est pas l'essentiel de notre lecture : la qualité des animations, des séquences parlées ou chantées, tout cela est laissé à l'appréciation de chaque visiteur, selon sa sensibilité. On remarquera seulement qu'aucune des nombreuses récompenses reçues par cette œuvre n'est usurpée.

Ce qui doit retenir notre attention, c'est l'apparente simplicité du dispositif, derrière laquelle se cachent des questions sémiotiques autrement plus complexes.

La liste des items reproduite ci-dessus nous informe en effet que certaines séquences sont dénommées en référence à la saison (winter…) et en liaison avec tel ou tel point cardinal; d'autres séquences dénotent des phénomènes naturels (snow, ice, flower, sun, thunder); d'autres ont trait à l'humaine condition (elder, adolesence, youth, birth, adult); d'autres encore font référence à des qualités humaines ou animales (courage, endurance…); et d'autres enfin à des phénomènes de calendarité (dawn, sunset, renewal).

Ce qu'il faut pointer du doigt, c'est l'extrême diversité des items et les registres fort différents qu'ils dénotent : saisons (calendarité longue), phénomènes naturels, classe d'âge, qualité humaine et/ou animale, calendarité courte.

Dès lors, l'action de cliquer sur l'un ou l'autre de ces items, et la surprise de découvrir à chaque fois une séquence différente par sa mise en image, par l'absence ou la présence d'un texte dit, etc… met l'hyperlecteur dans une situation de déséquilibre avec le projet ouvertement annoncé par l'œuvre - qui est, rappelons-le, inspirée de la symbolique des points cardinaux de la nation algonkine. Comment en effet construire une connaissance de cette cosmogonie si aucune méthodologie n'est proposée par l'auteur - et alors que nous sommes dans un mode d'expression nouveau ?

De plus, on remarquera le caractère volontiers énigmatique de certaines séquences - qui semblent fonctionner selon une logique bien davantage onirique que rationnelle.

En bref, aucun des modèles cognitifs anciennement connus ne semble respecté ici : nous ne retrouvons pas la linéarité du texte écrit et son organisation paratextuelle, ni la syntaxe de l'écriture cinématographique (fictionnelle ou documentaire), ni la méthodologie des modes d'exposition muséographiques, etc…

Il reste pourtant que l'œuvre de Graham Thomson nous transmet bien un message, et davantage encore qu'un message le sentiment d'avoir partagé une expérience sensible.

La logique qui semble prévaloir est bien davantage celle du rêve - un rêve directement relié à la psyché d'un peuple amérindien - une logique que l'on pourra dire transversale, faute de mieux pour l'instant.

C'est peut-être la plus grande qualité de cette œuvre, qui tout à la fois nous enchante de la façon la plus naïve, et nous réserve des questions autrement plus ardues, ayant trait à la sémiotique, et à l'élaboration d'un langage critique spécifique.




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