œuvre 3


Nomad Lingo,
de David 'jhave' JOHNSTON (Canada), 2000-2001

par Anne-Marie Boisvert




Nomad Lingo est une œuvre foisonnante, expérimentale, multiple, complexe, ludique, poétique… « mystérieuse », «finie», «infinie», «absurde», «immense», «immaculée», «primordiale»… comme le suggèrent les mots qui accueillent le lecteur/visiteur dès l'entrée, comme les images, aussi, qu'ils accompagnent, images tour à tour cosmiques et terriennes, de cieux, de planètes tournoyantes, de déserts ou de forêts verdoyantes… Un nouveau clic, et nous nous retrouvons devant la liste des douze mois de l'année, d'avril à mars, aux côtés de l'image d'un fœtus. L'œuvre a en effet connu une gestation d'une année, au cours de laquelle chaque mois aura ajouté ses travaux et ses jours.

Dans un texte théorique intitulé Programming as Poetry 1, David Johnston souligne les affinités entre le travail du programmeur et celui du poète. C'est que tous les deux travaillent le langage, c'est-à-dire un «flot de données». Le langage numérique autorise cependant une intégration à la fluidité non encore égalée des mots, des images et des sons, en unifiant ces données différentes dans un langage de base unique 2 qui, en les disposant ainsi davantage sur un même plan, les relativisent les unes par rapport aux autres, tout comme dans un poème où le sens littéral des mots n'a pas comme dans l'usage ordinaire la préséance sur le sens métaphorique générateur d'images ou les assonances. Ce nouvel outil permet ainsi en quelque sorte de multiplier le potentiel du texte poétique. Il ne s'agit pas ici d'une simple illustration, où le poème se trouverait tout simplement agrémenté et orné par l'ajout d'images et de sons. Plus profondément, les images et les sons font comme les lettres et les mots désormais partie de l'arsenal de création du poète/programmeur, les uns jouant des autres, jouant sur les autres, les mots révélant leur potentiel visuel, les images leur valeur symbolique et abstraite.

La multiplicité des thèmes abordés nous parlent tant de la vie personnelle de l'auteur que de politique, de biologie, de physique ou de philosophie. Les œuvres sont parfois interactives, et parfois se déroulent indépendamment de nous comme des petits mondes en soi. Nomad Lingo en acquiert par là une valeur cosmique. Faite de transmutations et métamorphoses, qui se forment, se déforment, se reforment, Nomad Lingo se développe en effet suivant le double axe du temps (avec l'insistance de l'inscription de l'œuvre dans une durée jalonnée par le passage des mois et des saisons) mais aussi de l'espace (de la page, de l'écran, du corps, du monde). Ainsi l'œuvre pourrait être décrite comme un moderne livre d'heures où les lettres enluminées s'animeraient, où la terre, les saisons et les planètes tourneraient, les poèmes au lieu des prières assurant et rythmant le bon passage des jours et du temps. De l'image du fœtus à la représentation de l'univers, Nomad Lingo constitue donc à la fois un microcosme et un macrocosme, une monde en soi comme une représentation du monde, tant du monde intérieur de l'auteur ou du lecteur, que du monde extérieur de la nature ou de la culture et aussi du langage, un peu comme ces paysages mis sous bulle où l'on peut déclencher des tempêtes et des tourbillons.





Notes
1 David jhave Johnston, «Mobilité textuelle et internet : de nouveaux paradigmes pour appréhender le langage», in Hypertextes. Espaces virtuels de lecture et d'écriture, sous la direction de Christian Vandendorpe et Denis Bachand.
Éditions Nota bene, Collection Littérature(s), 2002, pp : 211.  

2 Pierre Lévy, en soulignant ce fait, suggère de se servir plutôt du terme d'unimédia que de multimédia pour désigner les œuvres numériques. (cf. Pierre Lévy, Cyberculture, 1997).  




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